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07 : 12 : 11 |
GOUVERNER. Les invisibles prennent la parole |
L'Apocalypse, et après ? Cela fait quarante ans qu'on nous enfume avec les crises, qu'on nous réduit à l'idéologie de l'impuissance, à la passivité de la consommation addictive. Réveillons-nous ! Organisons autrement le local, prenons en mains notre quotidien en devenant consommateurs-acteurs, spectateurs-acteurs. Les bulles financières ne sont pas notre monde qui est celui des valeurs matérielles et immatérielles. Conjuguons les générations.
Allez voir la rubrique "idées, philo, politique (lectures gratuites)" sur ce site et diffusez les textes, rejoignez les socio-écologistes de SEE, imaginez à nouveau en arrêtant de subir ! Demain sera ce que nous en ferons.
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28 : 11 : 11 |
Les dérives de l'histoire-marketing |
Posons les choses. J'ai organisé l'exposition "Images et colonies" en 1993, faisant confiance alors aux membres de l'ACHAC, puis celle du Musée historique du Sénégal avec mon ami Abdoulaye Camara dans l'ïle de Gorée. J'ai travaillé sur l'exotisme et les représentations de l'autre (par exemple, dans Histoire du visuel au XXe siècle ou bien sûr en faisant l'exposition sur l'histoire de l'immigration en France en 1998). J'ai théorisé depuis longtemps notre monde relatif, nos identités imbriquées, nos rapports locaux-globaux. Voilà donc d'où je parle (précaution indispensable à notre époque de "politically correct").
Maintenant, parlons de l'exposition EXHIBITIONS. L'invention du sauvage au musée du Quai Branly. C'est l'exemple même de ce qu'il ne faut jamais faire en histoire : prendre un thème (noble en l'occurrence, l'antiracisme) et L'ILLUSTRER. Du coup, les représentations de l'autre sont mêlées (il existe beaucoup "d'autres") et montrées uniformément comme haineuses, avec un total anachronisme, alors qu'elles relèvent d'attitudes différenciées en cercles concentriques : de la haine primaire et vulgaire, oui, mais aussi, à l'autre bout, de la description fidèle, de la fascination, de l'empathie. On aurait gagné à comprendre ces strates et les évolutions dans le temps. On aurait aimé aussi du comparatisme. Voilà donc de l'histoire vieillotte, idéologique comme jadis dans les pays de l'Est, de l'histoire-marketing, du business des bons sentiments à l'égal de l'infect charity business dénoncé aux Etats-Unis.
C'est grave parce qu'une exposition de ce type va sembler "courageuse". Elle enfonce en fait des portes ouvertes. Elle instrumentalise l'histoire en pratiquant l'anachronisme et la décontextualisation. Elle méprise les "images" qui deviennent juste des illustrations, souvent forcées ou sans objet. Un vrai travail aurait consisté à tenter de comprendre leur sens au moment de leur réalisation, leurs publics et d'étudier leur diversité.
Quant à l'exhibition des humains comme les animaux, elle n'a jamais été qualifiée de "zoos humains" à l'époque et n'a évidemment pas le même sens à la fin du XIXe siècle et aujourd'hui. Pour comprendre la distance à mettre, deux expériences contraires : en 2001, j'aide les musées sud-africains à se transformer alors que les populations autochtones apparaissent seulement dans les dioramas des musées d'histoire naturelle et l'art commence avec l'art hollandais du XVIIe siècle ; en 2002, à Ouagadougou, le directeur du parc national me montre des villages en construction qui, habités, permettront aux visiteurs de découvrir la diversité des populations du pays.
Le courage n'est donc pas dans la caricature et la négation d'un travail historique scrupuleux. Elles ne peuvent qu'attiser les ressentiments. Le courage consiste à affirmer la non-reconnaissance et la non-connaissance de l'histoire longue des autres continents, la négation de leurs cultures (on expose des objets en ignorant délibérément leur fonction et leur sens), l'acculturation volontaire en continuant à imposer à des populations isolées (en forêt amazonienne, par exemple) une éducation occidentale niant leur savoir parfaitement adapté à leur environnement.
Alors, marquons un coup d'arrêt à l'histoire-marketing, dévoiement total du travail historique dans l'anachronisme et encourageons les travaux de connaissances réciproques rigoureux respectant tous les passés.
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03 : 11 : 11 |
La revanche du réel |
EXP !
Nos petits poings
Oui, nous n'avons que nos petits poings pour nous défendre et nos gants
chamaniques pour y croire. Pendant ce temps-là, dans la stratosphère --là où
nous ne comprenons rien, ou que trop-- les annonces de catastrophes se
succèdent. Alors, chacune et chacun se recroqueville sur l'essentiel : son
univers visible, ce qui nous atteint directement et ce sur quoi nous avons
prise.
Retour au local
Cette conversion à l'univers limité d'intervention deviendra d'ailleurs
d'autant plus prégnante que les périls grandiront. Quand les superstructures
s'effondrent, le troc, les micro-organisations de pénurie prospèrent. Alors,
tous découvrent l'abstraction de l'argent.
Dépérissement de la valeur argent
La traduction de tous les actes en argent --sans d'ailleurs quantifier la
valeur réelle de ce qui y échappe-- bâtit une société très inégalitaire avec de
l'argent réel trop rare et de l'argent virtuel trop abondant. Redonner sa
valeur aux choses, c'est aussi concevoir des échanges de générosités, des
solidarités géographiques, une conjugaison des générations. Ainsi d'ailleurs,
les cultures reprennent leur vrai poids et sortent d'une logique de guichet
pour lobbies très minoritaires. Ainsi, nous bâtissons des entreprises éthiques
et des administrations efficaces, sous l'impulsion de consommateurs-acteurs
dans un bouleversement de la relation travail-loisir.
Le local-global : des actions en réseau
Les typhons, les accidents nucléaires ou financiers dépassent largement les
frontières. Aussi, le pendant indispensable du retour au local est la
conjonction des initiatives pour peser sur les enjeux globaux. Plus personne ne
s'en "sortira" par la bunkerisation. Aucune muraille --réelle ou
virtuelle-- n'est assez solide. Le communautarisme émietté en égoïsmes concentrés
et rivaux se révèle aussi dangereux que la paupérisation de masse par une
globalisation injuste économiquement et destructrice des différences
culturelles.
Repenser des vivre-en-commun divers, relatifs, expérimentaux, évolutifs
Pour qui voit juste, les crises successives du communisme soviétique et du
capitalisme financier sont des chances propres à dessiner d'autres perspectives
à nos sociétés déprimées, de consommateurs addicts décervelés perpétuellement
insatisfaits. Il est temps en effet d'ouvrir les cervelles et de sortir de nos
petites technocraties à court terme. Il est temps de balayer les vieux grigous
de droite et de gauche qui nous bassinent avec leurs incapacités et leur
impuissance depuis des dizaines d'années, qui se trompent tout le temps, qui
disent impossible ce qui se produit le lendemain.
Balayons les résignés, les prophètes du passé
Il faut une rupture générationnelle (dont je parlais déjà en 2005) pour
entrer dans notre univers en bascule et s'y investir dans une conjugaison des
générations. Les paramètres se modifient, modifions les points de vue. Et
partout, à tout âge, elles et ils se mobiliseront sur de nouveaux objectifs
locaux-globaux, mus par autre chose que l'argent.
L'indignation, ça suffit ! Devenons des EXPERIMENTATEURS.
(www.see-socioecolo.com)
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UTILE !
Une expo gratuite de 52 posters téléchargeable en ligne
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Musée du Vivant et le livre à acheter sur ce site (voir livres)
UNE HISTOIRE GENERALE DE
L'ECOLOGIE EN IMAGES
Un somme indispensable à
connaître aujourd'hui : les humains et leur environnement depuis la préhistoire
Commençons la révolution du savoir
contre tous les obscurantismes !
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03 : 11 : 11 |
Pourquoi canoniser Pierre Nora ? |
[cet article sur le retour de l'histoire a été publié le 1er novembre 2011 dans lemonde.fr]
Il y eut l’entrée à l’Académie française. Avec la sortie du livre de
François Dosse (au titre paradoxal : Homo historicus), puis ses
propres recueil et autobiographie, nous assistons à une entreprise de
canonisation de Pierre Nora. Pourtant, il n’est apparemment pas en si mauvaise
santé qu’il faille le rassurer à toute force sous les honneurs. Beaucoup
d’ailleurs, d’un autre côté, ruminent dans l’ombre, en attendant sa disparition
pour lancer leurs assassinats posthumes.
Au contraire de ces démarches peu courageuses, tentons aujourd’hui
d’analyser les différents aspects du phénomène, car ils dépassent
l’individu et permettent de considérer plus largement quelles sont les pistes
d’avenir pour la science historique. D’abord, il existe un problème de
définition : Pierre Nora n’est pas un historien au sens traditionnel du
terme. Il n’a pas écrit de livre-somme historique. Il n’a pas fait de
recherches dans les archives, bibliothèques ou musées et ne s’en cache pas. Pierre
Nora est un éditeur talentueux, capable de diriger des ouvrages, d’animer des
collections et des revues, de faire articles et préfaces. Il a promu de beaux
esprits, tel Francis Haskell, néanmoins il garde aussi ses parts de cécité.
Ainsi l’histoire globale lui échappe, car son propos est resté très
national. Pour beaucoup, que sont Les lieux de mémoire si ce n’est un
inventaire au second degré d’une « francitude » née au XIXe
siècle ? En ce sens, ces « lieux » sont dangereux à deux titres.
D’une part, ils partent d’un périmètre défini artificiellement en fonction des
instrumentalisations et relectures opérées depuis 200 ans sur notre identité
nationale. Ainsi, de fait, beaucoup de ces notions n’ont pris du poids qu’avec
une récupération anachronique postérieure. Ce serait donc une forme de
florilège des mésusages de l’histoire dans une sorte de post-modernité de la
discipline. Beaucoup de ces « lieux » ont, de plus, perdu tout sens
dans la France d’aujourd’hui et, pour certains, cela est heureux. L’histoire ne
s’est pas arrêtée, heureusement.
D’autre
part, Pierre Nora a senti lui-même, dès sa préface au premier volume, que
mémoire et histoire n’étaient en aucun cas de même nature. L’histoire est une
« reconstruction problématique du passé ». La mémoire est un « absolu »
qui peut même s’autoriser l’erreur factuelle par une reconstruction mémorielle
idéalisée. En fait, la mémoire est un document à interroger parmi d’autres
documents par l’historien (dont les documents visuels encore trop souvent
négligés). Elle n’a aucune légitimité à prendre le pas sur le travail
d’histoire. A cet égard, le développement singulier dans notre pays nostalgique
de la notion de « mémoire » a probablement surpris l’organisateur des
« lieux ». Il en a été flatté mais il a vu aussi que cela ne
« prenait » pas dans beaucoup d’autres pays étrangers ayant surtout besoin
d’histoire, besoin d’une histoire indépendante. De surcroît, il s’est vite
aperçu –car son intelligence est vive, volontiers cruelle d’ailleurs, même avec
lui-même– que les dangers étaient grands sous deux aspects : la négation
du travail de l’historien et la mise sous tutelle de l’histoire par des
querelles communautaires violentes, bref l’explosion du vivre-en-commun, du
pacte républicain.
Alors,
Pierre Nora s’est-il contredit lui-même en succédant à René Rémond à la tête de
l’association « Liberté pour l’histoire » ? Il a en tout cas
constaté les dégâts présents et futurs de mémoires récupérées par des groupes
de pression et des politiques, visant à contraindre le travail scientifique.
Ainsi, au lieu que l’histoire et ses évolutions permettent d’éclairer les
opinions publiques et le monde éducatif, les « mémoires » viennent
brutalement imposer des dogmes en interdisant tout débat. De plus, la
victimisation des aïeux signifierait-elle vertu présente, ce qui placerait
chaque bébé face à des passés impossibles à solder ? L’histoire, au lieu
de nous inviter à réfléchir, deviendrait alors une idéologie figée. Le
directeur du Débat a indéniablement craint que ces lieux de mémoire deviennent
des lieux de déboires, détricotage du tissu national comme de la science
historique.
Mais,
disons-le pour parfaire cette mise en perspective, Pierre Nora –lucide sur les
dérives mémorielles-- n’a pas encore discerné les nécessités prioritaires pour
le futur du travail historique. Le dernier festival de Blois l’a montré, où il
s’est retrouvé assez décalé par rapport aux tenants de l’histoire globale. Et
pourtant, il devient urgent aujourd’hui d’ouvrir les travaux historiques vers
deux champs essentiels : l’histoire stratifiée du local au global
et l’histoire du visuel liée à l’histoire des traces écrites ou sonores.
L’histoire stratifiée est une manière de délivrer des repères désormais
indispensables sur la longue durée. Elle est aussi une histoire-territoire. Elle
débute avec une histoire locale, de l’apparition humaine jusqu’à aujourd’hui.
Cela est indispensable tant à Mayotte qu’à Perpignan ou Dunkerque, pour tous
les enfants de nos classes d’ailleurs : savoir où l’on habite. Cette
histoire est liée avec l’histoire du territoire national et de la construction
de l’idée de Nation. Elle prend en compte l’histoire continentale et s’inscrit
dans une histoire mondiale.
L’histoire
visuelle accompagne ces travaux. Pourquoi devient-elle nécessaire aujourd’hui,
primordiale non pas comme une illustration superfétatoire de l’histoire ou une
branche sympathique de l’histoire culturelle ? Parce que nous et nos
enfants vivons dans l’ubiquité perpétuelle entre un monde directement visible
et la représentation d’autres univers à distance. Parce que cette réalité est
un phénomène exponentiel décuplé avec la télévision et Internet, un phénomène
qui mêle toutes les époques, tous les supports, toutes les civilisations sur le
même écran. Avoir des repères chronologiques et géographiques devient donc
fondamental, non plus comme un aspect périphérique, mais comme un apprentissage
de base, à côté du monde de l’écrit ou des chiffres, dans ce que nous pouvons
dénommer une « boussole éducative ».
Ne nous
trompons donc pas d’enjeu. Et comprenons chez Pierre Nora ce que fut sa
lucidité critique, mais aussi les deux objectifs prioritaires aujourd’hui, à la
fois pour la recherche et pour éduquer de futurs citoyens ou pour des
apprentissages nécessaires tout au long de la vie.
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25 : 09 : 11 |
Haut les mains les artistes ! |
Un ministère des
cultures :
une politique de la
diversité et des repères
pour porter
le local vers le mondial
[ce texte est à faire circuler, soutenez-le sur ce site, envoyez-le aux candidats à la présidentielle]
La crise ? La crise ? Cela fait depuis 1973 que
nous en entendons parler, soit presque 40 ans. La litanie, depuis cette date,
fut celle de l’impuissance : puisque c’est la crise, ne bougeons rien,
terrons-nous frileusement pour essayer de passer entre les gouttes. Et si, au
contraire, il s’agissait de l’occasion d’une formidable mutation sur les deux aspects
fondamentaux aujourd’hui : la justice et le développement durable ?
Et s’il s’agissait du moment adéquat pour mobiliser les énergies en repensant
les modes de vie ? Et si la culture –les cultures—avait un rôle essentiel
à jouer dans ces métamorphoses planétaires ?
La crise :
une chance ? Le grand réveil
L’argent rare est probablement l’occasion de réfléchir,
d’une part à sa répartition, d’autre part au fait que les rapports humains sont
basés sur beaucoup d’actes non monétaires et que cette polarisation mercantile
est néfaste en ignorant des plus-values considérables d’une autre nature. Nous
mesurons trop et nous mesurons mal.
La crise, l’argent raréfié, sont justement l’occasion de
penser et mettre en œuvre des organisations différentes dans tous les domaines.
D’abord –tous les candidats l’affirment, mais pour quels effets ?-- jouer
cartes sur table en repensant une fiscalité juste. Ensuite, en définissant des
priorités et des objectifs pour l’emploi de l’argent public. C’est l’occasion
de conforter un Etat efficace,
redevable devant tous, d’autant qu’il est le fruit des efforts collectifs.
C’est aussi le moment de repenser le tissu général des
entreprises, d’organiser les consommateurs-acteurs, d’inciter à l’éthique, à la
redistribution interne des bénéfices, à des réflexes de défense des productions
locales. Le retour au local –un local
aux prises avec le monde, en aucun cas fermé—est la base d’une redynamisation
des énergies citoyennes, car chacune et chacun peut agir sur l’univers
directement visible, sur ce qui l’entoure. Il est temps de penser, non pas une
rétro-croissance mais des croissances diversifiées suivant les lieux (de même
qu’il convient aussi de penser des agricultures diversifiées). Les processus
coopératifs ou mutualistes devraient retrouver une forte actualité. C’est ce
que SEE (les socio-écolos : www.see-socioecolo.com) a développé.
Citons quelques exemples d’objectifs urgents dans cette
reconstruction de nos liens sociaux. D’abord, briser la dichotomie
travail/loisirs comme s’il y avait un Enfer d’un côté et un Paradis de l’autre.
Il est possible de revoir partout l’organisation des tâches pour supprimer les
travaux uniquement pénibles physiquement ou psychologiquement. Aux syndicats de
s’atteler à cette tâche prioritaire qui pèse sur la vie quotidienne de chacun.
Disons-le : le travail peut être un outil d’épanouissement, d’évolution,
de connaissance.
Ensuite, il existe une question générationnelle
désormais, entre des jeunes dans le système éducatif, des jeunes à la recherche
d’un travail, des adultes au travail, des adultes sans travail, des retraités
en pleine possession de leurs moyens physiques et mentaux, des retraités en
longue maladie ou en phase terminale d’une vie très longue. Il faut penser la conjugaison des générations et l’utilité
sociale de chacune et chacun.
Tout cela correspond à un grand réveil collectif nécessaire, dépassant des antagonismes périmés
pour inventer de nouvelles voies au vivre en commun, des voies dans lesquelles
toutes et tous se sentent impliqués.
Voyons donc plus précisément comment ce réveil peut s’appliquer aux domaines culturels,
curieusement très absents des programmes, avec une droite sans politique claire
hormis les coupures de crédits et une gauche timorée parce que « c’est mal
vu d’aller arroser d’argent les saltimbanques quand les SDF peuplent les rues
et les classes moyennes tirent la langue ». Je crois que c’est surtout le
fruit de mauvaises habitudes et d’une vision erronée du rôle de la culture dans
nos sociétés, de ce qu’est la formidable plus-value
culturelle, son rôle premier dans le lien social et sa capacité à faire
image et tirer l’économie.
Sortir de
la conception d’une culture-guichet, des faits du Prince et du mépris des
populations
La culture fut un en-soi des civilisations urbaines et pyramidales nées
après la sédentarisation du Néolithique. Elle accompagna le mythe du Progrès et
le rêve prométhéen des humains : l’illusion de dominer la nature. Elle se
développa aussi bien à travers les monuments érigés par les puissants que par
les coutumes populaires (musique, parures, habitats, cérémonies, langages…). Et
la circulation des individus et des objets fut le facteur d’un système
d’influences généralisé qui –quelles que soient les novations—fait qu’il
n’existe pas de civilisation « pure ». Aujourd’hui moins que jamais,
au temps de la circulation planétaire des objets et des images.
Le danger présent est double à cet égard : soit une acculturation
généralisée dans l’uniformisation d’une consommation « moyenne »
passive ; soit l’émiettement communautariste (l’effet « Amish »)
où chacune des communautés veut s’approcher de l’autarcie. Il existe pourtant
une solution qui conjugue les deux nécessités : la localglobalisation, c’est-à-dire la réaffirmation de
l’importance du local et de la singularité individuelle (notre capacité de
choix éclairés grâce à l’éducation à tout âge et d’évolutions), dans un système
d’échanges planétaires.
Désormais, les conceptions évolutionnistes et environnementalistes ont
apporté les notions de relativité –surtout pas de société parfaite—et de
mobilité –le vrai développement est celui des échanges, échanges de biens, mais
échanges de connaissances et de modes de vie. Nos identités imbriquées choisissent et changent. Du coup les codes
culturels, à la fois s’uniformisent avec l’internationalisation des produits
industriels et explosent en une myriade de déclinaisons individuelles.
Le piège d’un ministère de la Culture, tel qu’il est organisé en France,
est d’être devenu un bailleur de fonds arbitre des élégances. Or, la conception
d’un ministère de la Culture-guichet pour clientélisme actif, financeur de
lobbies, est choquante et paralysante pour l’action publique. Ce n’est pas au
ministère de la Culture de décider ce qui est culturel ou ne l’est pas. Son
rôle est d’aider toutes les émergences culturelles. D’autre part, l’argent
public sert bien sûr à pérenniser des métiers et des emplois, mais il peut
aussi soutenir et encourager la diversité. Voilà pourquoi la répartition entre
des actions structurantes et des pôles d’excellence ayant besoin d’une aide
continue et l’autre versant, celui de l’encouragement aux micro-initiatives, à
l’innovation, est à repenser.
L’argent rare signifie l’argent efficace et l’équilibre des dépenses. Le
pire dans ce domaine tient dans la non-visibilité et dans l’inconstance. L’argent
rare –ou pas rare d’ailleurs—suppose l’efficacité et l’impartialité des choix.
La question dépasse d’ailleurs simplement l’aspect financier. Certes, comme le
relève justement Guillaume Cerutti dans la revue Commentaire (n°135), le budget du ministère stagne alors que les
charges augmentent, provoquant la paralysie. Mais le plus grave est le manque
de vision, l’absence de stratégie. J’avais défini trois objectifs jadis pour
réformer (voir Le Monde du 14 janvier
2008). Faisons le point.
Faut-il supprimer le ministère de la Culture ? Cela peut s’envisager
en pensant que les financements deviennent exclusivement locaux, publics ou
privés, ou dans des actions structurantes européennes. Cela s’envisage d’autant
plus aujourd’hui (2011) où il est devenu quasi fantoche en France, où chacun
observe le marasme d’autant que l’ultra-activisme brouillon de la présidence de
la République a nié compétences et expertises. Mais il s’agirait d’un
dépérissement des Etats-Nations tels que le XIXe siècle nous les a légués. En
poursuivant ce raisonnement, la logique voudrait alors que le dialogue
s’instaure entre le local et un système fédéré planétaire. D’une part nous n’y
sommes pas prêts, d’autre part ce serait faire injure aux aspects positifs de
l’Etat-Nation, loin des seuls conflits barbares, des guerres civiles
européennes et des crimes coloniaux. Le rassemblement national, le message
républicain, nous a soudés en luttant contre la barbarie et aussi en portant à
travers le monde un message émancipateur.
Pour autant, il existe trois points qui doivent cesser : la
culture-guichet (nous l’avons évoqué), les faits du Prince et le mépris du
peuple.
Remettre en question la culture-guichet, c’est repenser le tissu
national. Il n’a de sens qu’avec des pôles
d’excellence structurants répartis sur l’ensemble du territoire (généralement
en partenariat avec les collectivités locales) à côté d’un soutien aux
initiatives émergentes. L’Etat doit tenir ce rôle. La survie du message
républicain (contre le retour aux chamailleries picrocholines de duchés
concurrents) passe par un tel élan collectif de clarification. Cela suppose de
dialoguer avec les organisations et les régions pour éviter les redites et les
déséquilibres. Cela permet au ministère de faire un travail de conseil et
d’accompagnement. Des commissions réellement indépendantes et renouvelées (tous
les 2 ou 3 ans) doivent permettre d’éviter les lobbies qui sont juges et
partie : par exemple, faut-il rénover tout le patrimoine au risque de la
disneylandisation des territoires ? Ces commissions sont de deux
natures : des commissions professionnelles spécialisées et des commissions
par tirage au sort dans la population pour des bancs d’essai nécessaires aux
créations émergentes.
Il faut en effet sortir des faits du Prince, au niveau national ou au
niveau local. Non qu’une impulsion soit inutile mais parce que les choix des
Princes doivent être éclairés pour sortir d’une offre parisienne pléthorique et
de caprices provinciaux redondants. Alors, des initiatives comme le Quai Branly
valorisant des collections dispersées dans un projet culturel (même discuté) ou
le centre de la bande dessinée d’Angoulême jouant un rôle pilote sur un support
essentiel, pourront se développer.
Le fait du Prince est lié aussi au mépris du peuple. Cela se traduit par
des initiatives capricieuses et dispendieuses qui ne sont souvent pas des
besoins. Cela se traduit –surtout dans l’époque actuelle—par des nominations à
la tête des établissements de personnes non qualifiés dans un mépris total des
professionnels. Cela se traduit par un rejet grossier des compétences et du
savoir. Cela se traduit enfin par un mépris du peuple, considéré comme ignare,
sans culture et sans désir de culture, autre que dans
la curiosité touristique.
Contre ce dernier point, il faut associer la population –je l’ai indiqué
plus haut—aux décisions concernant les bancs d’essai. Il faut également ne pas
avoir peur de défendre la création locale, ouvrir à toutes les formes de
cultures populaires. Bien sûr, ne pas s’enfermer dans ce critère et inviter des
créateurs nationaux et internationaux car les échanges sont essentiels, mais
défendre résolument aussi les créateurs locaux. A cet égard, la France est un
des rares pays dont les structures publiques sont souvent totalement rétives à
la création locale vue de façon extrêmement péjorative par rapport à d’autres
qui viendraient d’au-delà des océans. C’est ridicule et cela doit cesser.
Comme doivent cesser ces barrières obsolètes entre le « high »
et le « low », barrières à double sens. Il ne s’agit pas de tout
confondre –les expressions ne sont pas de même nature-- mais de tout respecter.
A cet égard, la notion de
« cultures » permet de reconnaître la qualité des créateurs de bandes
dessinées ou de jeux vidéo, comme celle des musiciens classiques, des spectacles
comiques comme la danse contemporaine ou traditionnelle. Cela prend en compte
les identités imbriquées de chacune et chacun et nos goûts hybrides (aimer le
football et la photographie, le rap et la culture zen). Ce n’est pas baisser
les bras sur la qualité, mais éviter les ostracismes ridicules : mépriser
la musique techno en bloc ou rejeter par principe toute exposition de peinture
européenne ancienne.
Enfin, l’éducation a un rôle central à jouer, comme la visibilité
médiatique avec la valorisation du savoir et de la création. L’éducation se
fait à tout âge et doit se faire à tout âge dans notre monde mouvant. Les
repères sont indispensables pour analyser son environnement. Ils sont la
condition première de choix individuels éclairés. L’ignorance favorise les
manipulations mentales, la surconsommation addictive écervelée, les sectes,
l’esclavagisme.
Le mépris du peuple est un présupposé d’inculture. Cela se combat de deux
manières. D’abord, nous l’avons dit, en incluant la culture populaire dans les
faits culturels (du fromage au lait cru au rap). Ensuite, en arrivant à mêler
les faits culturels entre eux : placer un orchestre de musique dite
classique ou jazz lors d’une fête aux saucissons fermiers, parler de peinture
religieuse du XVIIe siècle à l’occasion de la sortie d’un film, lier la bande
dessinée Tintin à son contexte historique ou Miyazaki à l’écologie... Enfin, en
donnant des repères à tout âge, en ne
pensant pas que l’idéal populaire est l’ignorance –ce qui est une insulte à
tous les citoyens. Mais en arrêtant l’abrutissement bas de gamme destiné à
faire des consommateurs névrotiques passifs, pour offrir des outils de
compréhension du monde qui en feront des consommateurs-acteurs, des
spectateurs-acteurs. Il faut démoder
l’imbécillité et la vulgarité !
C’est une réforme sévère en tout cas du service publique télévisé qui
doit s’opérer, pour insuffler de l’innovation, cesser de copier les chaînes
privées dans leurs pires tendances, arrêter de ne s’adresser qu’aux publics
âgés captifs, ne plus fermer ces écrans à toute la création émergente. Nous y
reviendrons.
Du côté des savoirs, il devient urgent d’affirmer l’aspect indispensable
d’une boussole éducative. Elle doit
servir à donner des bases aux enfants, mais doit guider aussi dans le courant
de la vie. Lire, écrire, compter, certes,
mais aussi se situer dans le temps (notions d’histoire, « stratifiée »
du local au global), dans l’espace (géographie et environnement), dans les sons
(histoire mondiale des musiques), dans le visuel (histoire mondiale de la
production visuelle humaine), en complément des activités du corps
(gymnastique), d’initiation aux langues (et donc à l’ailleurs et aux autres) et
à la diversité des goûts (cantines avec des produits locaux, des recettes
locales et ouvertes sur le monde). Plus âgé, cette boussole se complète par
l’histoire des philosophies et des religions –comprendre la pluralité de
visions du monde-- et bien sûr d’autres spécialités.
Voilà le socle commun indispensable à l’honnête citoyen du XXIe siècle
pour commencer dans la vie, choisir de façon éclairée, et apprendre, rester
curieux.
C’est ainsi à une remise en mouvement d’ensemble que nous appelons. Un
réveil, un big-bang. Sur quelles bases concrètes ?
Trois axes politiques majeurs se dégagent, correspondant à l’organisation
future d’un ministère rénové : la défense de la diversité ; les
patrimoines, le tourisme et les industries culturelles ; les médias et le
développement international. Tous les trois se recoupent, mais ce sont là des
objectifs centraux justifiant une politique d’Etat aujourd’hui.
Pourquoi
défendre la diversité et comment le faire ? Un ministère de passerelles
Contrairement à ce qu’on a pensé longtemps,
la quantité n’est pas le choix, l’abondance n’est pas la liberté d’expression. L’écologie culturelle consiste à protéger certaines formes
anciennes (traditions et savoir-faire en perdition) et à donner les conditions pour le maximum de choix individuels et
l’émergence de formes nouvelles –protéger la liberté qui est toujours menacée.
Affirmons-le en ouverture : l’inculture
et l’acculturation sont toujours des moyens d’asservir et de fragiliser les
plus modestes. La défense des cultures, des expressions
minoritaires, est un impératif majeur pour sortir du désespoir, de l’isolement,
de la perte des repères. C’est, avec l’éducation, la base d’un projet
collectif. Voilà pourquoi nous aspirons à un ministère des cultures, qui exprime bien dans son nom la recherche
et la défense de la pluralité des vecteurs et des expressions. Alors que le mot
« Culture » au singulier fait penser aux formes nobles et élitistes
de la civilisation européenne, le mot « cultures » au pluriel est une
façon d’ouvrir le champ aux expressions populaires européennes ou
extra-européennes. C’est en soi un plaidoyer pour l’ouverture.
L’écologie culturelle, dans ce sens, n’est
pas une frileuse façon de « geler » toutes les expressions du passé
dans un conservatisme réactionnaire, un folklorisme figé, mais une manière de
préserver tout en permettant des évolutions et des innovations, comme
l’écologie sert notamment à sauver la biodiversité, tout en incitant à réinventer
les modes de vie, à innover. C’est ce que nous avons appelé le
« rétrofuturo » : un dialogue entre passé et futur pour bouger
aujourd’hui sur notre planète relative.
Cela correspond à une reterritorialisation, au fait de cesser l’accumulation des grands
établissements parisiens mais de penser au renforcement d’établissements
structurants sur tout le territoire, là où il se passe tant de choses, tant d’initiatives
originales. Cela suppose de s’intéresser à la richesse de l’hexagone et de la
Corse mais aussi à la chance que nous avons d’outre-mer situés sur différents
continents.
Alors, un ministère des cultures rend fier chacune et chacun localement de ses
patrimoines, de ses innovations (les cultures, ce n’est pas uniquement le
passé), leur fait connaître aussi, et ouvre sur le monde. Il englobe ainsi de
fait le tourisme qui est une conséquence économique de la visibilité du
patrimoine matériel et immatériel.
Nous nous situons dans ce qui doit faire
probablement une des fiertés du continent européen (et aussi nord-américain),
l’héritage des penseurs des Lumières : défense de la pluralité d’expression et
des libertés individuelles. Il s’agit d’un combat toujours renouvelé dans ce
qui peut être considéré comme un darwinisme philosophique, c’est-à-dire une
pensée de l’évolution perpétuelle au sein d’une philosophie de la relativité
(puisqu’on a à emprunter et à apprendre de toutes les civilisations, tout en
inventant).
Dans ce contexte, que placer en premier point
de l’activité de l’Etat en matière culturelle si ce n’est la défense de la
diversité ? C’est sa tâche fondamentale, la plus noble. Mais pourquoi donc
la « défendre » ? Parce que nous sommes arrivés dans l’ère du
trop-plein, nous sommes submergés, de livres, de musiques, de spectacles,
d’expos… Et, au lieu de favoriser l’innovation, cela favorise les
« blockbusters » commerciaux et tue tout le reste comme une
production fictive. Cela contribue à l’uniformisation dévalorisée, au brouillage
des repères. Dans un tel contexte de surproduction, aucune création originale
n’a aucune chance, ou presque, de se faire remarquer. Quel honnête citoyen,
quelle libraire, quel critique peut s’y retrouver dans 600 à 700 romans de
rentrée ?
Ce n’est pas de la démocratisation
culturelle, c’est du matraquage industriel, du plus petit dénominateur commun,
de l’acculturation par le bas.
Il importe donc d’aider des structures de
valorisation intermédiaires sur la base large des faits culturels (y associant,
par exemple, la gastronomie et le patrimoine immatériel). La conception
générale doit être un maillage du territoire par des institutions-référence
soit thématiques (théâtre, cinéma, édition, musée et expositions, musique, artisanat,
danse…), soit polyvalentes. A chacune de ces structures choisies en
concertation avec les élus locaux de travailler en réseau et d’offrir une
visibilité à tout ce qui émerge et à toutes les expressions singulières à
défendre. C’est pourquoi il faudra dans chacune avoir deux commissions
renouvelées tous les 2-3 ans : une commission de professionnels et une
commission de citoyennes et de citoyens tirés au sort. Ainsi des bancs d’essai
divers donneront leur chance à tous les types de créateurs.
Ensuite, il faut des relais. Nous y
reviendrons dans la dernière partie sur les nouveaux vecteurs, ce qui fait
image. Il importe en effet aujourd’hui de structurer l’offre de l’Etat dans ce
domaine, de manière à ce que l’Etat soit un passeur,
qu’il aide à faire connaître les initiatives locales, qu’il les porte au
national, au continental, au mondial. A
l’ère d’Internet, les raisonnements doivent tenir compte de publics
concentriques : locaux, nationaux, continentaux, linguistiques (la
francophonie et d’autres aires linguistiques), mondiaux.
Enfin, il faut des repères, répétons-le. Aujourd’hui
où tout se brouille sur le même écran (civilisations, périodes de création,
types de création), jamais le discours pédagogique n’a été aussi faible dans la
société. La boussole pédagogique, dont nous avons parlé, est nécessaire à tout
âge. Alors que tout s’ouvre à une formidable diversité des expressions
culturelles, il faut identifier et apprendre à apprécier des formes très
différentes : l’opéra ou le catch. C’est pourquoi d’ailleurs les grandes
barrières disciplinaires sont souvent obsolètes, que la longue durée est
indispensable ainsi que des approches stratifiées du local au planétaire. Il
faudra en tirer des conséquences en faisant travailler étroitement ensemble un
ministère des cultures fournissant ressources et programmes avec un ministère
de l’éducation qui comprenne aussi bien enseignement supérieur et recherche,
jeunesse et sports, enseignement tout au long de la vie (notamment les
universités populaires ou universités du 3e âge).
Dès à présent, l’apprentissage des grands
repères de l’histoire mondiale de la production visuelle humaine ou ceux de
l’histoire planétaire des musiques –tous deux soutenus par tant de productions
pédagogiques des établissements culturels ou des associations-- doit pouvoir être
enseigné dès le plus jeune âge. Il importe en effet de disposer d’un cadre de
compréhension avant de recevoir des initiations. Nous marchons sur la tête lorsque nous voulons instituer des pratiques
culturelles avant les connaissances culturelles. Nous ajoutons la confusion
à la confusion et –osons le dire— diffusons des illusions.
Faire croire à des millions d’enfants qu’ils
seront des créateurs ou à 60 millions de Françaises et de Français que leur
danse ou leurs poteries sont admirables est un leurre et une source de
frustrations. La pratique créative est une chose passionnante, source
d’épanouissement à tout âge. Elle doit s’inscrire dans un cadre où l’on a des
modèles d’excellence, où l’on comprend la difficulté de l’acte créateur (qui
n’est pas juste une question d’excellence technique), où des repères permettent
de situer les créations, dans le temps, l’espace, les typologies. Cela permet
aussi lors des initiations aux consommations culturelles (visites d’expositions
et de musées, concerts, théâtre…) de les apprécier parce qu’on sait les situer.
La perte des repères institue une fausse
démocratisation car chacune et chacun peut se bercer d’illusions à l’ère des loisirs. Pour rompre avec ce système
hypocrite, il faut alors –répétons-le-- développer la connaissance et instituer
des systèmes intermédiaires de sélection et de valorisation, en jouant sur une
pluralité de regards avec des jurys de professionnels et des jurys de citoyens
tirés au sort.
Il est urgent dans ce domaine de mieux
employer l’argent public sur des objectifs clairs pour des politiques durables
et efficaces, loin de vains saupoudrages sans ligne directrice. Il est temps aussi de considérer le
formidable atout que sont les initiatives privées, les associations, le
bénévolat, facteurs de conjugaison des générations, plus-value collective.
Soutenir
patrimoines, tourisme et industries culturelles : un ministère
d’expertises
Sous prétexte qu’il s’agit de culture, la
question économique est souvent passée sous silence. Comme si une pudeur
insigne interdisait de parler d’argent. Pourtant l’Etat accorde de fortes
subventions. Il doit continuer à le
faire, que ce soit pour des structures non-rentables ou des structures
rentables.
Si
la culture –comme l’éducation—n’a pas de devoir de rentabilité économique, il
n’y a aucune honte à ce qu’elle dégage des profits à côté d’activités de
service public –profits qui
participent à leur financement. L’argent
généré n’est pas « sale », ni honteux. Il est utile. Dans
l’organisation des entreprises culturelles, trois fonctions se
distinguent : l’activité (ou les activités pour les structures
polyvalentes) « cœur de cible » ; la direction générale
culturelle ; les activités administratives, commerciales et de recherche
de mécénat ou partenariat. Cette dernière catégorie doit se développer dans
tous les établissements « tête de pont », « repère
d’excellence », « animateur de réseau », quelle qu’en soit la
nature (polyvalent, théâtre, musée, cinéma, opéra…) : commercialisation
des espaces, merchandising, restauration, vente de services… A cette fin, des
spécialistes doivent être engagés dans toutes ces institutions, avec des
objectifs clairs.
De plus, en temps d’argent rare, il faut bien
penser –répétons-le-- le maillage des
territoires (France et outre-mer), à la fois pour éviter la désertification
culturelle et aussi pour éviter des redondances préjudiciables et coûteuses.
Cela conduira à penser le tissu d’ensemble en réseau et à faire porter les
efforts prioritaires vers les régions ou à cesser de suréquiper Paris sans
songer à l’Ile-de-France, fort bassin de population. La concertation locale
doit présider à ce travail, en tranchant en cas de différent insoluble. Le but
n’est pas de faire fermer des structures mais de favoriser les structures
pilotes qui irriguent ensuite tout le tissu local, qui relaient et donnent
visibilité aux initiatives.
Il importe également de repenser nos rapports
au patrimoine. Désormais, heureusement, il a été élargi, notamment avec le
patrimoine industriel, le patrimoine naturel, le patrimoine immatériel. Mais
nous ne pouvons entrer dans une société disneylandisée où tout est restauré,
reconstruit artificiellement. Ou alors où tout est figé au détriment des
humains, devenus des acteurs dans des parcs. D’autant que souvent ces dépenses
très lourdes sont décidées par des personnes qui sont juges et partie.
Il faut arrêter la gabegie, permettre aussi
l’innovation, et mettre en place des commissions totalement indépendantes qui
n’hésitent pas à laisser des ruines en ruines (comme les célébrait Hubert
Robert) et interdire des restaurations quand il n’y a pas péril en la demeure
pour garder des tissus ou des peintures d’origine.
Et puis, il faut encourager l’initiative
associative, les mobilisations locales, à condition qu’elles soient conseillées
par des spécialistes. C’est pourquoi les châteaux et domaines restés dans les
familles ou acquis avec un souci de pérennisation, qui –on le sait—sont source
de tant de travaux indispensables doivent être protégés dans la mesure où ils
s’ouvrent à la visibilité publique.
D’autant que le patrimoine au sens large –pas
seulement les bâtiments, mais les coutumes, les savoir-faire—est un étendard et
une fierté pour une région. Quoi qu’on en dise, le bâtiment de Franck Gehry
–même s’il était un peu « soucoupe volante » dans cette ville
industrielle sinistrée-- a fait parler de Bilbao, comme Laguiole est célèbre
par son savoir-faire coutelier ou Carhaix avec son festival de musique
(« Les vieilles charrues »). Les cultures –au sens large—font signe. Sur une planète globalisée,
ce sont ces spécificités anciennes ou à inventer qui « tirent » les
images locales. Elles « tirent » aussi l’économie, les entreprises.
Elles favorisent le tourisme.
La mise en valeur de ces fiertés locales
défend la diversité, fait image, mais surtout a un impact économique
indéniable. Voilà pourquoi il faut intégrer le tourisme à la culture, car il est
une conséquence directe du patrimoine, son volet économique. L’aménagement des
territoires se mène dans des concertations où tous ces aspects sont
nécessairement liés. Il favorise le lien social autour de valeurs communes à
préserver et à créer. Culture et entreprises peuvent ainsi se réconcilier en
comprenant que les entreprises sont, dans certains cas, des marques culturelles
fortes et que les cultures sont sources d’identification et de visibilité
importantes pour les firmes.
Parallèlement, des industries culturelles
privées existent bien sûr. Elles touchent à des domaines divers : cinéma,
édition, télévision, jeux vidéos… Beaucoup sont en crise aujourd’hui. Le rôle
de l’Etat n’est pas de les racheter ou de les faire vivre artificiellement.
Néanmoins, il importe d’être très attentif à ce tissu précieux. Rappelons les
incidences du passage de la domination française sur la production
cinématographique internationale avec Pathé et Gaumont (premières compagnies
planétaires avant 1914) à une suprématie des Etats-Unis (Hollywood) à la faveur
de la Première Guerre mondiale. Cela fut un moteur pour toutes les industries
d’outre-Atlantique et l’American Way of Life.
Deux règles doivent guider à cet égard la
puissance publique : la défense de la diversité et l’aide aux
investissements d’avenir. La défense de la diversité –sur laquelle nous avons
insisté-- incite à soutenir des institutions déficitaires parce que l’Etat
considère qu’elles correspondent à une forme de « trésor
national » : préserver un club de jazz historique ou le savoir-faire
d’une entreprise de porcelaine. Cela touche également les médias :
journaux, magazines ou sites internet considérés comme indispensables à
l’expression politique ou culturelle. Des commissions indépendantes renouvelées
tous les 3 ans doivent piloter les décisions avec la possibilité pour le ministre
d’intervenir en urgence.
Il en est de même pour les investissements
d’avenir. Les banques ne jouent pas toujours leur rôle et il faut pouvoir
soutenir ce qui se développe, non pas dans un système de financements
chroniques de longue durée pouvant devenir pervers, mais sous forme d’aides
ponctuelles au développement.
A l’Etat aussi de labelliser (dans des
accords internationaux) les pratiques éthiques au sein des entreprises et dans
leurs actions avec les fournisseurs. A l’Etat d’inciter aux bonnes pratiques
environnementales. A l’Etat de faire comprendre les responsabilités insignes
des fanaux culturels et économiques de chaque région, que des pratiques d’un
autre temps risquent de faire disparaître à cause de la condamnation médiatique
des consommateurs-acteurs. A l’Etat, de balayer devant sa porte en supprimant
les tâches dégradantes (gardien de musée) pour les faire évoluer vers de la
polyvalence. A l’Etat de créer des labels « Patrimoine culturel
écologique », qui concernent les bâtiments, le fonctionnement, les
rapports aux publics et l’éthique.
La
culture n’est donc pas l’ennemie de l’économie. Elle serait même un soutien indispensable et
une défense de l’économie. Elle fait signal. Elle fait marque. Elle fait image.
Faire image pour porter
le local vers le mondial : un ministère de passeurs
De la même manière que beaucoup n’ont pas
encore perçu véritablement les urgences écologiques obligeant à des réponses
concertées et à une planète solidaire (le climat mais aussi les pollutions
massives, la question énergétique…), beaucoup ne comprennent nullement que nous
sommes entrés dans un basculement médiatique, un changement d’ère aux
conséquences multiples. Je l’ai qualifié dans un ouvrage de « guerre
mondiale médiatique » --car l’information devient l’arme la plus redoutable--
et ai analysé dans un film le passage de la « société du spectacle »
--telle que définie par Guy Debord à l’ère de la télévision-- aux
« sociétés des spectateurs-acteurs » en réseaux.
Alors, deux grandes questions en suspens
émergent : l’actuel sous-emploi des possibilités d’Internet minimisant
l’apparition de structures diversifiées de production ; la nécessité de
pôles de médiation intermédiaire variées. Chaque site ou blog Internet
s’adresse en théorie à la communauté des humains. Or beaucoup servent à un
petit réseau d’amis. Pour ce qui relève des institutions de toute nature,
Internet est encore considéré comme une vitrine marginale. C’est oublier que
les publics potentiels en ligne sont beaucoup plus considérables que ceux in
situ. L’investissement du virtuel reste dérisoire comme ses utilisations
pratiques, éducatives, de diffusion culturelle à tout âge. Les pouvoirs publics
n’ont pas encore pris conscience de cette nouvelle ubiquité nécessaire :
des acticité de terrain et des activités diffusées. Cela suppose de s’adresser
résolument aux nouveaux consommateurs induits : sa communauté, l’espace
linguistique (la francophonie), la planète (nous traduisons très peu).
Disons-le, nous sommes seulement à l’aube des
possibilités générées par ce système. Mais le grand danger en fait est
l’appauvrissement des contenus, paradoxalement. Plus il y a de choses, moins on
peut en regarder et plus chacune et chacun se retrouvent sur les mêmes vecteurs
basiques. L’abondance n’est pas le choix
et la liberté se gagne par le volontarisme. Voilà pourquoi l’initiative
d’Etat reste indispensable.
Elle doit encourager à développer des
vecteurs d’information variés, rendant compte d’une action associative, de la
vie d’un immeuble, d’un quartier, d’une entreprise. Les institutions, elles
aussi, doivent rentrer dans des phases structurées de production pour le Net.
Elles deviennent toutes multimédia, avec une imbrication des métiers. Elles
interviennent dans le domaine des loisirs comme dans le domaine éducatif.
L’organisation des contenus en réseau par complémentarité, la défense de la
diversité, la validation et l’expertise se révèlent essentielles. Les citoyens
ont besoin de la part des médias intermédiaires d’enquêtes, de tri, d’apports
d’éléments de connaissance. Ces médias
intermédiaires sont privés et publics. Du côté de la puissance publique, elle
doit relayer la production des pôles d’excellence mais aussi faire déboucher et
rendre visibles les invisibles,
beaucoup de ces micro-productions ignorées, fragiles, en développement. Pour
ce faire, là encore, il convient de mettre en place des commissions renouvelées
indépendantes.
C’est donc à un big bang des contenus qu’il
faut s’atteler. Soutien du privé et pôles de référence regroupés du public.
La
place du savoir et de la création dans nos sociétés est en effet indigne. Et très spécifiquement à la télévision. La
visibilité télévisuelle est en effet réservée aux sportifs, acteurs, hommes
politiques et journalistes. Sont-ce là les seuls modèles pour notre
jeunesse et pour l’ensemble de la population ? Où sont les savants,
les pédagogues, les créateurs ? Il est urgent de réformer le service
public télévisé et d’entraîner les médias vers des pratiques qui ne tiennent
pas seulement au « news market » (emballer les nouvelles de scandale
pour les vendre) ou aux singeries provocatrices sur les mœurs et la violence,
mais à une vraie variété de l’offre et au travail d’enquêtes et de clarifications
par des spécialistes (souvent contradictoires).
Perpétuer
le financement d’un service public télévisé en partie par l’impôt pour avoir
des programmes fabriqués par des sociétés privées et copiant les télévisions
privées est un vol caractérisé. Si une transformation radicale n’est pas opérée, mieux vaut entrer dans
une privatisation intégrale et refonder un canal public qui relaie les
programmes publics et le tissu des initiatives privées innovantes. De toute
façon, un portail est nécessaire désormais pour faciliter la visibilité
générale de l’offre --surtout pas pour étatiser la culture mais pour relayer,
passer, regrouper, rendre visible.
Pour ce qui concerne la presse, en dehors de
la dimension très spécialisée ou de pur divertissement, l’évolution va vers des
groupes multimedia qui sauront apporter de la profondeur à l’information brute
(que chacun peut obtenir en temps quasi immédiat). De même pour la radio. Pour
la télévision en voie d’explosion –car les webtv se multiplient avec des
pratiques de zapping et de consommation à la carte—, le maintien d’un service
public n’a de sens que si s’opère l’inverse des années 1960 (où, grossièrement,
le pouvoir gaulliste contrôlait l’information et l’obédience communiste les
programmes).
Aujourd’hui, l’information doit être
totalement indépendante, probablement avec des partenariats médiatiques
associant tous les médias et toutes les tendances politiques, car
l’indépendance se gagne grâce à la diversité des intervenants et elle seule. Du
côté des programmes en revanche, il est inadmissible que l’argent de la
redevance serve à singer le privé en nourrissant des producteurs privés. Il
faut repenser le système, mettre en place un cahier des charges strict et
directif, laisser le temps aux émissions de s’installer. Il faut inventer des
formules suivant les chaînes : généraliste sur France 2 avec une dimension
nationale et internationale ; vraiment tourné vers le local sur France
3 ; vraiment éducatif sur France 5 (aidant --en partenariat avec les
institutions culturelles-- à mettre en place la « boussole »
éducative à tout âge depuis la petite enfance, favorisant l’acquisition de
repères, travaillant avec les pôles d’excellence culturels) ; culturel international
sur Arte ; vraiment planétaire pour France 24 et thématisé pour les autres
chaînes. De toute façon, là aussi, les multidiffusions par le Net,
l’imbrication des vecteurs, joueront à plein et obligeront à des passerelles
naturelles. Mais c’est un réveil du
service public qui doit s’opérer, lié aux institutions culturelles et à
l’éducation, relai des initiatives locales.
Tout cela participe d’une pensée innovante
sur les modules de programmes qui circulent. La production locale (hexagone et
outre-mer, même amateur, se démultipliant). Les institutions fournissent des
programmes culturels et éducatifs, des repères, des ressources. Les chaînes de
télévision, au sens traditionnel, en pleine mutation, se doublent d’une offre
démultipliée sur le Net. Elles relaient
une sélection des productions individuelles, locales, ou planétaires. Ainsi,
France 2 agrège des modules locaux, francophones et internationaux. Ainsi,
France 3 est un vrai relai d’initiatives locales et d’échanges entre ces
initiatives locales. Ainsi, France 24 fait émerger les expressions
francophones, parle dans des langues planétaires et aide des langues
minoritaires. Ainsi, Arte s’ouvre à la notion relative de cultures planétaires
pour la connaissance et le respect de la diversité des modes de vie, leur
défense et celle de l’innovation.
Voilà comment peuvent se mettre en place des
structures de valorisation culturelle. Elles
sont désormais indispensables à la fois pour stimuler les initiatives et pour
défendre la diversité par des propositions variées au public. Elles permettent
à la France de tenir une place précieuse dans le monde concurrentiel de l’offre
à distance.
Alors, au niveau local, les institutions
doivent se concerter pour faire des offres complémentaires relayées par des
DRAC partenaires des collectivités, liant la culture, le divertissement, la
pédagogie. Elles feront ainsi image pour toute leur région. Au niveau national
(en n’oubliant jamais les outre-mer), il importe de passer, de relayer le local
vers le mondial et aussi de servir de passeur au mondial –spécifiquement aux
expressions singulières, minoritaires, qui en ont besoin—pour atteindre notre
local. Il est bon que cela se fasse dans un espace francophone et,
parallèlement, dans des espaces de langues multiples.
Tout cela se comprend dans des actions
résolues d’exportation des savoirs, des savoir-faire, des cultures. Voilà
pourquoi un ministère des cultures doit pouvoir dynamiser des organisations
comme l’Institut français (renommé et repensé)
pour un pays –le nôtre—qui exporte très mal ses cultures, ne sait pas traduire.
Rassembler, faire travailler ensemble,
donner une visibilité globale. L’exportation des entreprises fonctionne
avec les images de marque locales et nationales. Les cultures et les
savoir-faire sont les fleurons qui permettent la diffusion des produits. Ils
doivent être portés par la volonté d’excellence, l’éthique, la durabilité et la
défense de la diversité qui placent la France comme un exemple de défense de
ses diversités internes et de défense des diversités planétaires dans un destin
commun, donc comme un chantre des libertés et du respect réciproque.
Défense des libertés et des créations, soutien
des industries, des lieux et des coutumes, aide à la diffusion interne et planétaire,
défense partout des diversités dans un discours clair sur une planète relative,
de respect réciproque, solidaire car consciente de vivre une aventure commune.
Cette grande ambition ne nécessite pas juste de l’argent et ce sont sûrement
les bonnes volontés individuelles qui sont les plus précieuses Il faut des
idées, de l’allant, une répartition autre des crédits et des objectifs, la
volonté d’associer tout le monde au lieu de rejeter les compétences. Il est
temps d’avoir les idées claires sur le futur. Les cultures sont un atout
indéniable pour nos territoires. C’est un message d’espoir local et mondial.
Trois impératifs pour
redonner moral et fierté à tous les acteurs culturels, malgré les crises :
- respecter et valoriser les professionnels
pour en refaire des modèles sociaux portant l’innovation
- démocratiser en donnant leurs chances aux
multiples initiatives locales
- mieux répartir l’argent public dans la
concertation pour dynamiser les réseaux structurants et mieux se servir des
nouvelles technologies pour promouvoir culture et éducation
CULTURES DE TOUS CULTURES POUR TOUS
Laurent Gervereau
Président du Réseau des musées de l’Europe
Président de l’Institut des Images
|
07 : 09 : 11 |
La culture n'est pas honteuse ! |
Avalanche
de réactions depuis mon article dans Le Monde daté 6 septembre 2011
(voir lemonde.fr) sur la nomination de Catherine Pégard à la direction
du château de Versailles. Soutiens enthousiastes concernant la manière
dont on traite les professionnels et aussi la place du savoir et de la
culture dans nos sociétés. Il faut faire déboucher cela vers une vision positive
du savoir et de la culture, une vision où les professionnels ne sont
pas vus comme des mendiants perpétuels et l'Etat comme un guichet. Une
vision d'avenir pour une société où les citoyens deviennent des
consommateurs acteurs, des spectateurs-acteurs. La culture
n'est ni honteuse, ni onéreuse, ni inutile. Nous basculons vers des
nécessités inédites et des fonctionnements innovants. TRILOGIE DE NECESSITES. La culture se fonde sur une défense de la diversité. Elle soutient des industries. Elle fait image.
Sur cette base que je développais jadis dans Le Monde, il faut repartir
du local. Ce sont les activités locales --là où chacun peut intervenir,
dans son univers visible-- qui sont la racine de tous les savoirs et de
toutes les expressions, de toutes les libertés aussi. Alors, le
nouveau rôle de l'Etat est d'aider à faire passer les expressions, de
constituer des pôles d'excellence en réseau pour rationaliser et arrêter les
déperditions, enfin de propager dans le monde matériellement et
virtuellement. CONDUCTEUR D'ENERGIES DU LOCAL AU MONDIAL. Hisser le local vers le mondial en aidant parallèlement au tri
rétro-futuro: s'ouvrir sur tous les faits culturels, anciens et
récents, les brasser tout en en faisant apprécier les spécificités.
Donner des repères : la culture fait vendre et la culture fait
comprendre aussi. Elle sert la boussole éducative.
Les deux grands impératifs dans notre ère de la relativité et de la guerre mondiale médiatique sont : défense de la diversité d'expressions et mise en valeur de repères. Il faudra peut-être organiser des "CULTURE PRIDE" pour l'affirmer. N'ayons donc
plus peur. Soyons fiers du savoir et de la création. Dynamisons les
énergies. Sans argent ? En tout cas en pensant la répartition
intelligente d'un argent raréfié mais en faisant appel aux formidables
énergies autour de ces thèmes, dans ce qui peut permettre la conjugaison
des générations. ECHANGES DE GENEROSITES. Réveillons enfin des énergies
qui ne demandent qu'à s'exprimer et sont désespérées de la médiocrité,
du mépris. Devenons visibles.
|
21 : 08 : 11 |
La crise ? 7 milliards de dupes... |
from : www.see-socioecolo.com (many thanks)
LA CRISE ?
7 MILLIARDS DE DUPES...
Qu’entend-on ? La crise, la
crise, la crise. On entend cela en fait depuis 1973, soit presque 40 ans.
N’y aurait-il pas duperie sur la nature de la crise ? Menace pour faire
peur et réduire à l’impuissance, de manière à ne rien changer dans nos
formidables injustices ? Les riches ne sont pas en crise. Des nomades ne
sont pas en crise. Nous choisissons nos périls. LA VRAIE CRISE EST CELLE DE NOS
CROYANCES ET DE NOS MODES DE VIE. Les sacrifices ? Voyons plutôt les
gâchis, les aberrations, les passivités d’enfants gâtés dépressifs, les
accumulations aberrantes de ressources. Choisissons nos modes de vie plutôt que
de subir des consommations inutiles, la dictature de l’argent contre le don ou
l’échange, l’isolement et l’esclavage mental.
Quelques-uns d’entre nous disent que nous allons être 7 milliards. Rien
moins que cela ! 7 milliards d’exemplaires de l’espèce humaine. Au
secours ! Nous sommes noyés par le nombre. Libres ? La question ne se
pose même plus. LA DIVERSITE DIMINUE QUAND TOUT SE MULTIPLIE. Voilà une crise
majeure.
Les agronomes pensent que ces 7 milliards peuvent être alimentés. Nous
parlons aux 7 milliards. Comment allons-nous vivre ? 7 milliards
d’esclaves ? Brrrrrr…
T’es tout ? T’es rien ? Ces 7 milliards –nous et nos langues--
sont tous issus de l’Afrique, d’où « homo sapiens » aurait essaimé
voici quelques 60 000 ans. Ce n’est pas très ancien. Dans leur prétention,
certains ont imaginé et imaginent remodeler la planète suivant leurs volontés
et le « progrès ». Quelle vanité. Un grand hôpital pour 7 milliards
de patients consommateurs passifs ?
Nous constatons enfin que les choses sont relatives et que la
satisfaction individuelle d’un Wayana en forêt, d’une New-Yorkaise riche ou
d’une Berlinoise pauvre sont des notions très complexes, mettant en jeu
l’individu et son environnement. LE TEMPS DES CONSOMMATEURS-ACTEURS EST VENU,
de l’abolition des barrières entre travail et loisirs, de l’orientation de sa
consommation et de son utilité sociale. Le temps aussi d’une conjugaison des
générations dans un vrai débat ouvert sur les notions de durée, de qualité, de
choix de sa fin quand cela est possible.
D’où notre premier appel à un grand TRI RETRO-FUTURO. Où que nous soyons,
réfléchissons à notre environnement, à ce que nous voulons garder, ce que nous
voulons jeter, ce que nous voulons transformer. Ce tri se fait au niveau local
et se fait savoir au niveau planétaire dans un grand débat mondial.
Ce tri participe également d’une réflexion globale sur le devenir
matériel et spirituel de la planète. Les pollutions, l’extinction des énergies
fossiles et la destruction physique et culturelle de régions entières, sont des
questions de survie commune. L’obsolescence, la surconsommation, la multiplication
de produits inutiles également.
Il est temps de clamer l’unicité de la condition terrienne quand les
catastrophes se propagent d’un continent à l’autre. Il est temps aussi de
comprendre l’absence de modèle unique quand l’Europe ou les Etats-Unis semblent
en régression dans des crises successives avec ces empires spéculatifs (ou
pas). L’injustice, la destruction de l’environnement et les dépressions
généralisées condamnent ce modèle. IL EST TEMPS DE TOUT REMETTRE A PLAT.
L’obligation de la preuve s’est inversée : c’est à cette civilisation
industrielle de prouver son efficacité réelle, sa pertinence pour le plaisir et
la sérénité des habitants. Pas l’inverse. Et l’Inde ou la Chine ne peuvent
sombrer dans les mêmes erreurs niant leurs cultures
Il est nécessaire en fait d’encourager à des cultures et des modes de vie
variés, à des croissances diversifiées. On ne veut pas vivre de façon identique
à Shangaï, Paris, Bamako ou chez les Aborigènes du Nord australien. La grande
leçon de l’évolution est celle-là : la perfection est illusoire et mortifère,
l’arrêt de l’histoire, un mensonge criminel. Il est temps de comprendre que si
chacun peut choisir son interprétation du monde philosophiquement ou
religieusement, PERSONNE NE PEUT IMPOSER UNE VISION UNIQUE ET UNIFORME, quand
bien même ce serait sous l’angle de l’hygiénisme, du supposé intérêt individuel
commun. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable que cette vision s’impose, car les
marges, les erreurs, les anormalités, ont toujours nourri ou sauvé la pensée
majoritaire. C’est donc une pensée plurielle, évolutionniste, que nous
appelons. Elle accompagne et modèle un monde en transformations :
plurofuturo. Cela bannit le dogme figé, exclusif, fondé sur des rites
(religieux ou laïques) : monorétro. Du moins un dogme imposé à tous.
Une telle conception organique d’un mouvement semblable à la vie
terrestre –qui en est la poésie—conduit à des attitudes de fatalisme dynamique.
Fatalisme, car statistiquement la catastrophe est aussi probable que l’événement
heureux. Dynamique, car la caractéristique et la noblesse des actions humaines
consistent dans son mouvement, qu’il soit pour construire ou pour vivre en
sociétés. Ce mouvement s’aide de l’étude critique du monde. Ecologique :
il considère le devenir des humains au sein de leur environnement.
Social : il songe à des boussoles éducatives utiles à chaque enfant pour savoir
cet environnement et choisir ses comportements, à chaque adulte afin de
s’orienter. Il est un combat constant pour la justice, non pour l’égalité mais
pour l’égalité des chances et surtout la diversité. LA VIE TERRESTRE N’A PAS
BESOIN DE CLONES MULTIPLIES MAIS DE LA COMPLEMENTARITE DES ESPECES ET DES
EXEMPLAIRES SINGULIERS.
Ainsi, l’enjeu est de combiner des objectifs communs minimaux et
évolutifs de survie avec de multiples déclinaisons de comportements. PAS DE
PLANETE NORMALISEE ; MAIS PAS DE REALITES EMIETTEES, SANS LIEN NON PLUS.
Partout, les frontières n’ont aucun sens à l’heure de nos identités imbriquées.
Partout, elles pourraient d’ailleurs se subdiviser dangereusement en autant de
communautarismes différents. Nous le voyons en Chine, en Inde, en Syrie, en
Egypte comme en France (communautés religieuses ou régionales –Bretons,
Basques, Alsaciens…). Le bon niveau est local et expérimental. Il doit
s’inscrire dans des préoccupations mondiales avec des solidarités actives
autour d’un pacte humain évolutif : LOCAL-GLOBAL.
Dans ce cadre, arrêtons la sale tendance du mépris du savoir et de la
création, tendance uniquement destinée à manipuler des foules ignorantes et
captives, acculturées. Il faut réévaluer l’exigence et la valeur des
connaissances, de l’éducation au long de la vie, de la curiosité. Il faut
cesser de détruire des savoirs traditionnels utiles pour comprendre son environnement
et son histoire. Ainsi, nous avons besoin partout de connaître l’histoire
locale depuis les temps les plus anciens, dans le cadre des grandes évolutions
planétaires : histoire stratifiée. Cela est vrai également pour la/les
musiques ou la production visuelle humaine. Le comparatisme est une dynamique
essentielle de la pensée. Mathématiques, physique, chimie, économie, restent,
dans ce cadre, des outils mais aussi des objets de débats.
En forêt tropicale, nous apprenons la flore et la faune et le climat et
la géographie et la médecine avec les ressources locales. Partout, nous
devenons des SPECTATEURS-ACTEURS, transmettant nos envies et nos colères, notre
quotidien et nos visions du monde. C’est à un GRAND BIG-BANG PACIFIQUE de nos
comportements individuels et collectifs que nous appelons. Une conscience
solidaire et multiple des vivre-en-commun.
Continuons l’aventure humaine dans nos espaces en transformations.
Restons passionnés et exigeants, liés entre nous et misanthropes, philosophes
de la relativité ouverts à toutes les autres conceptions du monde --qui ne
soient pas exclusives et dominatrices, prosélytes et arrêtées. Egoïstes
intelligents, qui comprenons que notre épanouissement se multiplie avec celui
des autres.
PESSIMISTES ACTIFS. L’ère des « homo diversus » arrive. Ils ne
seront jamais sages. Puissent-ils échapper aux périls.
Heloisa, Mitiarjuk, Laurent
(www.see-socioecolo.com)
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24 : 07 : 11 |
Donner des débouchés aux "populismes" |
image : chercher des châteaux en Espagne hors d'Espagne
Lisant
un article dans Le
Monde en juillet 2011 sur les "populismes", je fus atterré par le
peu de propositions en regard. Et c’est bien parce qu’il existe des
milliers d'auteurs à la
pensée pleine de bons sentiments démocratiques mais aux imaginations
essoufflées, que les populismes progressent. Ces derniers sont en effet
le
palliatif grotesque d’une offre politique sans vraies alternatives.
Faut-il
pour autant leur laisser le terrain
libre, alors que des millions de « sans opinion » se sentent mis à
l’écart simplement à cause de l’impossibilité de les classer ?
D’abord,
traiter avec mépris les « populismes », c’est refuser d’en comprendre
les causes. Elles sont de deux ordres à mon sens : la perte de pertinence
du niveau national d’un côté et les injustices économiques croissantes de l’autre.
Ces deux tendances nourrissent un populisme d’extrême-droite et un populisme
d’extrême-gauche. Ils se rejoignent dans le rejet violent des milieux
politico-médiatiques-affairistes, vus comme connivents, amoraux, mafieux dans
leurs comportements.
Mais
les traiter avec mépris de « populismes », sans avoir rien de neuf à
proposer et sans répondre à leurs angoisses légitimes et à leurs révoltes,
c’est ne rien comprendre au malaise d’une très grande partie de la société qui
a besoin de se retrouver dans des buts et des valeurs. Les crises successives
du capitalisme spéculatif déstabilisent la droite. L’incapacité à imaginer des
sociétés du futur sorties de la lutte des classes et de la pollution
généralisée de la planète, paralyse une gauche pragmatique sans prospective
(gérer la crise ?).
Alors,
au lieu d’accueillir les propositions différentes comme d’heureux moyens de
redynamiser les modèles du vivre en commun, elles sont traitées d’utopiques,
d’irréalistes et passées sous silence. Mais
n’est-il pas temps d’inverser la charge de la preuve ? Le communisme
d’Etat a montré paralysie et crimes. Le fascisme et le nazisme aussi.
Aujourd’hui, les démocraties sont essoufflées car elles échouent économiquement
dans un système spéculatif pathogène et une crise de la représentativité et de
la liberté d’expression.
La
défunte télévision en est l’expression : une multiplication des canaux
pour une réduction de la diversité des programmes et des idées. La
représentation nationale est sociologiquement restreinte. Le référendum est
absent. Les sondages triomphent, alors qu’on en sait la relativité. Le
« politically correct », sous l’influence de groupes de pression
divers, nuit en France gravement à la liberté d’expression et fait passer
racistes et réactionnaires comme courageux.
Quelles
pistes alternatives ? D’abord, il importe de cesser de prendre des vessies
pour des lanternes. Même s’il est facile d’aller raconter à une partie vieillissante
de l’électorat que fermer les frontières est la solution, en jetant par exemple
à la porte quelques milliers de Roms, qui y croit vraiment ? Une France
autarcique ? De l’autre côté de l’échiquier politique, allons-nous, seuls,
nationaliser massivement ? Quitter l’Europe ? Pour quels
résultats ? Qui a de la mémoire frémit : ne méprisons jamais les
échanges et les économies qui nous unissent, ne nous habituons pas à la paix
quand il est si facile de détruire ce que des siècles ont construit.
Mais
ouvrons les yeux. Les deux niveaux essentiels aujourd’hui sont le local et le
global. Le local, ce qui nous entoure, ce sur quoi nous avons prise, notre
univers directement visible, est la vraie dimension à réinvestir. Pour toutes
les générations. Nous avons des capacités d’intervenir pratiquement,
directement, en devenant des consommateurs-acteurs et des travailleurs-citoyens
(dans le public ou le privé). Pour multiplier les gestes associatifs, les
coopératives et le mutualisme, imposer des entreprises éthiques, pas besoin de
sang, de révolution, ni même d’élections. Il suffit de décider et de propager
des attitudes de consommation ciblées sur la défense de la proximité et le
choix éthique. Il suffit de faire et de faire-savoir en entrant pleinement dans
les sociétés des spectateurs-acteurs.
Pour
le global, il faut comprendre une Terre en réseau où personne ne détient la
vérité. Cessons, nous Européens ou Nord-Américains, d’imposer au reste de la
planète des modèles économiques et de mode de vie qui nous insupportent par
beaucoup d’aspects. Nous avons sûrement autant à apprendre des Inuit, des Yaos
ou des Wayanas en termes de pensée sur le monde, de micro-économies et de droit
à la diversité. La relativité doit s’imposer dans les esprits. Et puis, nous
avons à nous entendre collectivement pour des règles et des enjeux qui
concernent notre survie collective, ou en tout cas notre « bien
vivre » collectif.
Voilà
ce en quoi l’écologie est passionnante. Si elle ne dérive pas vers des aspects
sectaires ou religieux, il s’agit du moteur opportun pour repenser tous nos
actes et nos manières de vivre dans des choix rétro-futuros. L’écologie doit ainsi
rester scientifique et expérimentale. Elle a besoin pour ce faire d’intégrer un
volet culturel, qui est celui –comme on préserve dans l’évolution l’environnement—de la préservation et de
l’évolution de comportement variés : diversifier la diversité. Pas de
monde figé et surtout pas d’uniformisation planétaire.
Voilà
un « parler vrai » qui montre, je crois, notre contexte tel qu’il
est, en indiquant des moyens simples de le faire évoluer et des buts clairs.
Faut-il nommer politiquement ce qui concerne en fait des milliards
d’individus ? Pas forcément. Les Brésiliens et les Canadiens ont qualifié
ces modes de pensée de « socio-écolo-évolutionnistes ». D’autres
parlent de « libertaires écologistes » (« liberecolos »),
en pensant à la réévaluation des idées libertaires et utopistes du XIXe siècle
mais dans une perspective de relativité des idées avec des philosophies de tous
les continents et la prise en compte des innovations collectives nécessaires à
notre survie et notre bien-vivre.
La
question dépasse les terminologies. Elle réside dans l’urgence à ce que ces
idées prennent place dans le débat public, suscitent les imaginations,
provoquent expérimentations et dialogues. Pourquoi laisser la seule place alternative
à des révoltes stériles ? Sont-ce des pensées innovantes et
courageuses ? Est-ce pour encourager la résignation ? Pour ma
génération (celle d’après 1968, arrivée sur le marché du travail avec les
effets de la crise pétrolière), qui n’a jamais entendu parler que de crises et
de rigueur, il est vraiment temps d’envisager les choses autrement. Ce n’est
pas un nationalisme racorni et réchauffé, un pragmatisme aquaboniste du
« moindre mal » des scandales inégalitaires actuels ou des appels à
des révolutions autoritaires dont on a vu les résultats, qui peuvent nous
intéresser. Comme la jeunesse ou de vaillants aïeuls, nous voulons continuer,
non seulement à ne pas accepter l’inacceptable, mais à agir sur notre univers.
Oui,
décidément, il est vraiment temps d’inventer des solutions différentes,
adaptées au monde d’aujourd’hui. Pas pour construire des sociétés idéales (fin
de l’histoire à conséquences inhumaines), mais pour continuer ce que l’aventure
terrienne a pu apporter de plus passionnant : terrible, fragile et
fulgurante parfois. Une quête éternelle qui vaut par elle-même et non par son
but volatil (Le Trésor de la Sierra Madre
de B. Traven).
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20 : 07 : 11 |
Savoir admirer sans aduler |
Voilà une chronique antidatée, parce que le livret GOUVERNER sort et doit éclipser mes états d'âme. Hier (9 décembre 2011), j'ai joué les midinettes : je suis allé au Centre Pompidou où Benoit Peeters avait invité Chris Ware. C'est bête, j'avais envie de rencontrer physiquement Chris Ware. Très convaincu par son importance, amateur de ses constructions-déconstructions comme un Winsor McKay à l'heure du logo, je voulais voir l'individu.
C'est toujours délicat car, que faire dans une ambiance de culte agglutiné ? Sur scène, chacun s'est évertué à lui adresser des gentillesses, le qualifiant de "génie absolu" de la bande dessinée, avec un "avant" et un "après" Ware. On aurait pu parler ainsi de Fred, de Druillet ou de Jean Giraud. Mais il faut toujours penser que le lointain est meilleur.
Bon, Chris Ware a heureusement battu en brèche les grandes analyses. Il a reconnu ses propres dettes visuelles. Il est parti pisser. Interminable échalas coincé de bourgeoisie provinciale (Chicago), d'une famille intellectuelle issue de la vieille Europe, tendance puritaine. Sur des membres un peu désarticulés, pose un long visage d'étudiant surplombé d'un gros crâne galactique, tendance James Joyce. Bref, un mutant concentré à l'humour cisaillant.
Il est sain cependant d'apprécier les travaux exceptionnels et je me méfie rien tant que des adorateurs d'eux-mêmes. Comme des fanatiques. Alors, j'ai communié. Alors, j'ai acheté un album avec 5 tirages issus du New Yorker (revue mythique de Steig ou Steinberg) : "Thanksgiving". Et bêtement j'en ai tendu un dans la foule pour une signature fétichiste. On s'est aboyé deux mots. J'ai voulu lui indiquer que je travaillais sur les images, il n'a rien compris, et il y avait de la bousculade. Nous nous sommes regardé intensément. Il m'a écrit alors en pattes de mouche : "TO LAURENT", plus loin au centre : "VERY BEST !", et à droite : "C. WARE 2011 A.D."
Il n'a rien à expliquer sur son travail. Il vaut mieux d'ailleurs qu'il n'explique rien (comme Picasso) et reste "at home", qu'il évite l'adulation néfaste et perturbatrice. Elle fait se prendre très au sérieux et "gèle" l'imagination, tel Robert Crumb désormais pop star habillé chic et faisant toujours les mêmes dessins.
Bref, j'ai fait ma groupie du moment. Le "VERY BEST !" me portera pendant l'année à venir, une année Ware, à cloisons multiples, où vagabonder. Déjà accrochée dans un cadre de chêne à une place qui l'espérait depuis toujours, cette image d'hiver nostalgique attend la neige avec Henry Purcell et du Bourbon sombre.
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01 : 07 : 11 |
Fermer les frontières ? Globaliser et uniformiser le monde ? Démondialiser ? Localglobalisons ! |
Il
existe un véritable problème d’échelle aujourd’hui dans les réflexions en
cours. Nous n’agissons pas là où il faut. En effet, face au spectre d’une
planète globalisée, uniformisée dans la consommation aveugle au service de
quelques intérêts financiers, beaucoup se raidissent. Les plus réactionnaires
réclament le rétablissement de barrières nationales (oubliant d’ailleurs que la
France fut un pays impérial et reste présent sur plusieurs continents), faisant
semblant de croire à la protection d’un territoire réduit aux acquêts. Les
autres plaident pour une « démondialisation ».
Mais
il faut être clair : si démondialiser signifie parcelliser le monde en
autant d’autarcies jalouses, cela risque de nous faire retourner à des querelles
incessantes dont nous avons pu ressentir les funestes effets dans l’histoire.
Cette grande peur, à droite comme à gauche, vient d’un sentiment de
dépossession : tout cela nous dépasse, nous sommes les jouets de luttes
d’influences planétaires sur lesquelles nous n’avons aucune prise.
Alors,
il est temps de sortir des vieux schémas. Nous ne sommes pas seulement en un
lieu, au temps de l’ubiquité constante. Nous sommes ici et ailleurs. Voilà
pourquoi il importe d’investir réellement les deux dimensions. S’occuper du
local, c’est œuvrer sur ce sur quoi nous avons prise : notre environnement
immédiat. Là, nous pouvons penser l’organisation de la vie locale et ses
spécificités. Là, nous pouvons défendre les pratiques de qualité et les
entreprises de proximité. Là, nous pouvons devenir des consommateurs-acteurs en
plébiscitant les entreprises éthiques, les systèmes coopératifs ou mutualistes.
Mais
le but est-il l’émiettement de petites communautés ? A l’heure d’une
économie spéculative folle, de catastrophes naturelles, de migrations et de
périls qui ignorent les frontières, nous comprenons qu’un repli local frileux
n’a aucun sens et est dangereux. L’action
locale n’est efficace qu’en dialogue international. Ce sont les échanges
d’expériences, les fédéralismes, les prises de conscience de solidarités
contraintes qui doivent mener une planète faite de diversifications
individuelles de la diversité, dans un pacte commun minimal et évolutif. Localglobalisons. Pas de repli sur soi.
Pas d’uniformisation globale non plus. Un dialogue généralisé.
La
même question d’échelle touche la dimension temporelle. Les sociétés d’Europe
et d’Amérique du nord ont inventé le concept de la
« post-modernité », de la fin de l’histoire, et la mode du
« rétro ». Telle une civilisation lasse qui, constatant ses échecs et
ses espoirs perdus, prescrit la nostalgie comme remède à l’impuissance. Quel
orgueil ! Dans le même temps, il faudrait que d’autres civilisations
d’Afrique ou d’Asie figent leurs mœurs et leurs coutumes dans un folklorisme
pittoresque : comme si l’on demandait aux Limougeauds de singer
éternellement leurs modes de vie des années 1930. Tous les peuples évoluent.
Tous les peuples ont une histoire. Et un devenir heureusement. La fin de
l’histoire signifie soit l’autodestruction, soit le début d’un système
concentrationnaire.
Rétrofuturo : voilà donc bien la
dimension aujourd’hui de nos choix. Nous conservons des pratiques anciennes,
avec des variantes individuelles. Nous revenons même dans certains cas à des
pratiques anciennes volontairement. Et nous changeons, innovons, testons des
expériences proposées par d’autres dans le monde. Un nouveau dialogue dynamique
nous est proposé. Il correspond, de plus, à une conjugaison des générations et
à des échanges mondiaux de modes de vie.
Mais
tout cela est-il compris ? Tout cela est-il porté politiquement ? Il
faudrait une nouvelle dynamique pragmatique de l’ensemble du monde politique.
Le fromage au lait cru, la coopérative et les jeux vidéo motivent de façon
large, avec le thé vert ou le boubou, suivant les variantes de nos identités
imbriquées et de nos histoires stratifiées. Les citoyen(ne)s de l’ici et de
partout se multiplient sans étiquette. Des générations patchwork apparaissent. Dans le même temps, d'autres recherchent la norme, la règle, au nom d'un passé devenu dogme, laïques ou religieux autoritaires et expansionnistes (les "monorétros"). La tolérance reçoit l'intolérance comme une grenade dégoupillée en pleine gueule.
Voilà
pourquoi, les socialistes et les écologistes devraient lancer ouvertement un
Bad Godesberg pour une planète juste et durable. Sortir des peurs pour agir.
Accompagner les énergies nombreuses. Dans un double mouvement de rapprochement.
Si les socialistes commencent à s’intéresser aux questions de justice, de
morale, ils ont à comprendre que les pollutions ou la malbouffe ou
l’acculturation galopante pour fabriquer des consommateurs serviles ou les
entreprises non éthiques frappent d’abord les plus pauvres. Les écologistes,
eux, ont mis en évidence des questions (climat, énergies non renouvelables,
pollutions, nucléaire, alimentation…) qui caractérisent les grands enjeux
globaux. Mais à eux de convaincre qu’ils ne s’intéressent pas juste à
quelques-uns, qu’ils parlent pour partout et pour des masses entières dans le
monde, sans frontières. A eux de démontrer qu’ils ne sont pas des utopistes,
qu’ils sont les seuls réalistes aujourd’hui, faisant face à des nécessités
immédiates d’ici, au plus proche.
Juste et durable, voilà donc le
troisième terme, le troisième dialogue nécessaire. Au sein d’une Terre en
décroissance ? Cette notion est incompréhensible pour le public. Elle
paraît réactionnaire au sens propre. Elle est incompréhensible pour celles et
ceux qui souffrent dans leur vie quotidienne. Ce sont bien des croissances diversifiées
qui sont nécessaires, des modes de vie variés et évolutifs (suivant son lieu et
ses souhaits). Avec des objectifs généraux : un big bang de la pensée sur
nos modes de vie, le passage de la société du spectacle aux sociétés des
spectateurs-acteurs, la reprise en mains de l’économie par une vision
politique, au service de toute la société, des sociétés. Le marché –oui--, mais
avec la régulation de labels, les exigences des consommateurs-acteurs.
Cessons
donc de réfléchir suivant un angle fermé. Pas de repli national, mais pas de
globalisation aveugle régie par les intérêts de quelques-uns. Pas
d’idéalisation du passé ici ou chez les autres, mais pas d’idéologie du progrès
faisant table rase d’hier. Pas de justice sans conception d’un monde durable en
transformations, économiquement et culturellement. Un fatalisme dynamique, le
temps de la relativité contre le relativisme.
A
l’heure de l’ubiquité entre ici et partout sur la Toile, nos enjeux
fondamentaux tiennent ainsi dans trois
dialogues : le local-global, le passé et l’innovation (rétro-futuro), la
justice et la durabilité. La tension dynamique entre ces termes bâtit notre
environnement. Ne nous trompons plus d’échelle. Propageons nos idées avec courage et ténacité malgré l'aveuglement. On ne cessera de nous rejoindre, même sans le reconnaître (www.see-socioecolo.com).
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