24 : 07 : 11

Donner des débouchés aux "populismes"

image : chercher des châteaux en Espagne hors d'Espagne

Lisant un article dans Le Monde en juillet 2011 sur les "populismes", je fus atterré par le peu de propositions en regard. Et c’est bien parce qu’il existe des milliers d'auteurs à la pensée pleine de bons sentiments démocratiques mais aux imaginations essoufflées, que les populismes progressent. Ces derniers sont en effet le palliatif grotesque d’une offre politique sans vraies alternatives. Faut-il pour autant leur laisser le terrain libre, alors que des millions de « sans opinion » se sentent mis à l’écart simplement à cause de l’impossibilité de les classer ?

D’abord, traiter avec mépris les « populismes », c’est refuser d’en comprendre les causes. Elles sont de deux ordres à mon sens : la perte de pertinence du niveau national d’un côté et les injustices économiques croissantes de l’autre. Ces deux tendances nourrissent un populisme d’extrême-droite et un populisme d’extrême-gauche. Ils se rejoignent dans le rejet violent des milieux politico-médiatiques-affairistes, vus comme connivents, amoraux, mafieux dans leurs comportements.

Mais les traiter avec mépris de « populismes », sans avoir rien de neuf à proposer et sans répondre à leurs angoisses légitimes et à leurs révoltes, c’est ne rien comprendre au malaise d’une très grande partie de la société qui a besoin de se retrouver dans des buts et des valeurs. Les crises successives du capitalisme spéculatif déstabilisent la droite. L’incapacité à imaginer des sociétés du futur sorties de la lutte des classes et de la pollution généralisée de la planète, paralyse une gauche pragmatique sans prospective (gérer la crise ?).

Alors, au lieu d’accueillir les propositions différentes comme d’heureux moyens de redynamiser les modèles du vivre en commun, elles sont traitées d’utopiques, d’irréalistes et passées sous silence. Mais n’est-il pas temps d’inverser la charge de la preuve ? Le communisme d’Etat a montré paralysie et crimes. Le fascisme et le nazisme aussi. Aujourd’hui, les démocraties sont essoufflées car elles échouent économiquement dans un système spéculatif pathogène et une crise de la représentativité et de la liberté d’expression.

La défunte télévision en est l’expression : une multiplication des canaux pour une réduction de la diversité des programmes et des idées. La représentation nationale est sociologiquement restreinte. Le référendum est absent. Les sondages triomphent, alors qu’on en sait la relativité. Le « politically correct », sous l’influence de groupes de pression divers, nuit en France gravement à la liberté d’expression et fait passer racistes et réactionnaires comme courageux.

Quelles pistes alternatives ? D’abord, il importe de cesser de prendre des vessies pour des lanternes. Même s’il est facile d’aller raconter à une partie vieillissante de l’électorat que fermer les frontières est la solution, en jetant par exemple à la porte quelques milliers de Roms, qui y croit vraiment ? Une France autarcique ? De l’autre côté de l’échiquier politique, allons-nous, seuls, nationaliser massivement ? Quitter l’Europe ? Pour quels résultats ? Qui a de la mémoire frémit : ne méprisons jamais les échanges et les économies qui nous unissent, ne nous habituons pas à la paix quand il est si facile de détruire ce que des siècles ont construit.

Mais ouvrons les yeux. Les deux niveaux essentiels aujourd’hui sont le local et le global. Le local, ce qui nous entoure, ce sur quoi nous avons prise, notre univers directement visible, est la vraie dimension à réinvestir. Pour toutes les générations. Nous avons des capacités d’intervenir pratiquement, directement, en devenant des consommateurs-acteurs et des travailleurs-citoyens (dans le public ou le privé). Pour multiplier les gestes associatifs, les coopératives et le mutualisme, imposer des entreprises éthiques, pas besoin de sang, de révolution, ni même d’élections. Il suffit de décider et de propager des attitudes de consommation ciblées sur la défense de la proximité et le choix éthique. Il suffit de faire et de faire-savoir en entrant pleinement dans les sociétés des spectateurs-acteurs.

Pour le global, il faut comprendre une Terre en réseau où personne ne détient la vérité. Cessons, nous Européens ou Nord-Américains, d’imposer au reste de la planète des modèles économiques et de mode de vie qui nous insupportent par beaucoup d’aspects. Nous avons sûrement autant à apprendre des Inuit, des Yaos ou des Wayanas en termes de pensée sur le monde, de micro-économies et de droit à la diversité. La relativité doit s’imposer dans les esprits. Et puis, nous avons à nous entendre collectivement pour des règles et des enjeux qui concernent notre survie collective, ou en tout cas notre « bien vivre » collectif.

Voilà ce en quoi l’écologie est passionnante. Si elle ne dérive pas vers des aspects sectaires ou religieux, il s’agit du moteur opportun pour repenser tous nos actes et nos manières de vivre dans des choix rétro-futuros. L’écologie doit ainsi rester scientifique et expérimentale. Elle a besoin pour ce faire d’intégrer un volet culturel, qui est celui –comme on préserve dans l’évolution l’environnement—de la préservation et de l’évolution de comportement variés : diversifier la diversité. Pas de monde figé et surtout pas d’uniformisation planétaire.

Voilà un « parler vrai » qui montre, je crois, notre contexte tel qu’il est, en indiquant des moyens simples de le faire évoluer et des buts clairs. Faut-il nommer politiquement ce qui concerne en fait des milliards d’individus ? Pas forcément. Les Brésiliens et les Canadiens ont qualifié ces modes de pensée de « socio-écolo-évolutionnistes ». D’autres parlent de « libertaires écologistes » (« liberecolos »), en pensant à la réévaluation des idées libertaires et utopistes du XIXe siècle mais dans une perspective de relativité des idées avec des philosophies de tous les continents et la prise en compte des innovations collectives nécessaires à notre survie et notre bien-vivre.

La question dépasse les terminologies. Elle réside dans l’urgence à ce que ces idées prennent place dans le débat public, suscitent les imaginations, provoquent expérimentations et dialogues. Pourquoi laisser la seule place alternative à des révoltes stériles ? Sont-ce des pensées innovantes et courageuses ? Est-ce pour encourager la résignation ? Pour ma génération (celle d’après 1968, arrivée sur le marché du travail avec les effets de la crise pétrolière), qui n’a jamais entendu parler que de crises et de rigueur, il est vraiment temps d’envisager les choses autrement. Ce n’est pas un nationalisme racorni et réchauffé, un pragmatisme aquaboniste du « moindre mal » des scandales inégalitaires actuels ou des appels à des révolutions autoritaires dont on a vu les résultats, qui peuvent nous intéresser. Comme la jeunesse ou de vaillants aïeuls, nous voulons continuer, non seulement à ne pas accepter l’inacceptable, mais à agir sur notre univers.

Oui, décidément, il est vraiment temps d’inventer des solutions différentes, adaptées au monde d’aujourd’hui. Pas pour construire des sociétés idéales (fin de l’histoire à conséquences inhumaines), mais pour continuer ce que l’aventure terrienne a pu apporter de plus passionnant : terrible, fragile et fulgurante parfois. Une quête éternelle qui vaut par elle-même et non par son but volatil (Le Trésor de la Sierra Madre de B. Traven).

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20 : 07 : 11

Savoir admirer sans aduler

Voilà une chronique antidatée, parce que le livret GOUVERNER sort et doit éclipser mes états d'âme. Hier (9 décembre 2011), j'ai joué les midinettes : je suis allé au Centre Pompidou où Benoit Peeters avait invité Chris Ware. C'est bête, j'avais envie de rencontrer physiquement Chris Ware. Très convaincu par son importance, amateur de ses constructions-déconstructions comme un Winsor McKay à l'heure du logo, je voulais voir l'individu.

C'est toujours délicat car, que faire dans une ambiance de culte agglutiné ? Sur scène, chacun s'est évertué à lui adresser des gentillesses, le qualifiant de "génie absolu" de la bande dessinée, avec un "avant" et un "après" Ware. On aurait pu parler ainsi de Fred, de Druillet ou de Jean Giraud. Mais il faut toujours penser que le lointain est meilleur.

Bon, Chris Ware a  heureusement battu en brèche les grandes analyses. Il a reconnu ses propres dettes  visuelles. Il est parti pisser. Interminable échalas coincé de bourgeoisie provinciale (Chicago), d'une famille intellectuelle issue de la vieille Europe, tendance puritaine. Sur des membres un peu désarticulés, pose un long visage d'étudiant surplombé d'un gros crâne galactique, tendance James Joyce. Bref, un mutant concentré à l'humour cisaillant.

Il est sain cependant d'apprécier les travaux exceptionnels et je me méfie rien tant que des adorateurs d'eux-mêmes. Comme des fanatiques.  Alors, j'ai communié. Alors, j'ai acheté un album avec 5 tirages issus du New Yorker (revue mythique de Steig ou Steinberg) : "Thanksgiving". Et bêtement j'en ai tendu un dans la foule pour une signature fétichiste. On s'est aboyé deux mots. J'ai voulu lui indiquer que je travaillais sur les images, il n'a rien compris, et il y avait de la bousculade. Nous nous sommes regardé intensément. Il m'a  écrit  alors en pattes de mouche : "TO LAURENT", plus loin  au centre : "VERY BEST !", et à droite : "C. WARE 2011 A.D."

Il n'a rien à expliquer sur son travail. Il vaut mieux d'ailleurs qu'il n'explique rien (comme Picasso) et reste "at home", qu'il évite l'adulation néfaste et perturbatrice. Elle fait se prendre très au sérieux et "gèle" l'imagination, tel Robert Crumb désormais pop star habillé chic et faisant toujours les mêmes dessins.

Bref, j'ai fait ma groupie du moment. Le "VERY BEST !" me portera pendant l'année à venir, une année Ware, à cloisons multiples, où vagabonder. Déjà accrochée dans un cadre de chêne à une place qui l'espérait depuis toujours, cette image d'hiver nostalgique attend la neige avec Henry Purcell et du Bourbon sombre. 

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01 : 07 : 11

Fermer les frontières ? Globaliser et uniformiser le monde ? Démondialiser ? Localglobalisons !

Il existe un véritable problème d’échelle aujourd’hui dans les réflexions en cours. Nous n’agissons pas là où il faut. En effet, face au spectre d’une planète globalisée, uniformisée dans la consommation aveugle au service de quelques intérêts financiers, beaucoup se raidissent. Les plus réactionnaires réclament le rétablissement de barrières nationales (oubliant d’ailleurs que la France fut un pays impérial et reste présent sur plusieurs continents), faisant semblant de croire à la protection d’un territoire réduit aux acquêts. Les autres plaident pour une « démondialisation ».

Mais il faut être clair : si démondialiser signifie parcelliser le monde en autant d’autarcies jalouses, cela risque de nous faire retourner à des querelles incessantes dont nous avons pu ressentir les funestes effets dans l’histoire. Cette grande peur, à droite comme à gauche, vient d’un sentiment de dépossession : tout cela nous dépasse, nous sommes les jouets de luttes d’influences planétaires sur lesquelles nous n’avons aucune prise.

Alors, il est temps de sortir des vieux schémas. Nous ne sommes pas seulement en un lieu, au temps de l’ubiquité constante. Nous sommes ici et ailleurs. Voilà pourquoi il importe d’investir réellement les deux dimensions. S’occuper du local, c’est œuvrer sur ce sur quoi nous avons prise : notre environnement immédiat. Là, nous pouvons penser l’organisation de la vie locale et ses spécificités. Là, nous pouvons défendre les pratiques de qualité et les entreprises de proximité. Là, nous pouvons devenir des consommateurs-acteurs en plébiscitant les entreprises éthiques, les systèmes coopératifs ou mutualistes.

Mais le but est-il l’émiettement de petites communautés ? A l’heure d’une économie spéculative folle, de catastrophes naturelles, de migrations et de périls qui ignorent les frontières, nous comprenons qu’un repli local frileux n’a aucun sens et est dangereux. L’action locale n’est efficace qu’en dialogue international. Ce sont les échanges d’expériences, les fédéralismes, les prises de conscience de solidarités contraintes qui doivent mener une planète faite de diversifications individuelles de la diversité, dans un pacte commun minimal et évolutif. Localglobalisons. Pas de repli sur soi. Pas d’uniformisation globale non plus. Un dialogue généralisé.

La même question d’échelle touche la dimension temporelle. Les sociétés d’Europe et d’Amérique du nord ont inventé le concept de la « post-modernité », de la fin de l’histoire, et la mode du « rétro ». Telle une civilisation lasse qui, constatant ses échecs et ses espoirs perdus, prescrit la nostalgie comme remède à l’impuissance. Quel orgueil ! Dans le même temps, il faudrait que d’autres civilisations d’Afrique ou d’Asie figent leurs mœurs et leurs coutumes dans un folklorisme pittoresque : comme si l’on demandait aux Limougeauds de singer éternellement leurs modes de vie des années 1930. Tous les peuples évoluent. Tous les peuples ont une histoire. Et un devenir heureusement. La fin de l’histoire signifie soit l’autodestruction, soit le début d’un système concentrationnaire.

Rétrofuturo : voilà donc bien la dimension aujourd’hui de nos choix. Nous conservons des pratiques anciennes, avec des variantes individuelles. Nous revenons même dans certains cas à des pratiques anciennes volontairement. Et nous changeons, innovons, testons des expériences proposées par d’autres dans le monde. Un nouveau dialogue dynamique nous est proposé. Il correspond, de plus, à une conjugaison des générations et à des échanges mondiaux de modes de vie.

Mais tout cela est-il compris ? Tout cela est-il porté politiquement ? Il faudrait une nouvelle dynamique pragmatique de l’ensemble du monde politique. Le fromage au lait cru, la coopérative et les jeux vidéo motivent de façon large, avec le thé vert ou le boubou, suivant les variantes de nos identités imbriquées et de nos histoires stratifiées. Les citoyen(ne)s de l’ici et de partout se multiplient sans étiquette. Des générations patchwork apparaissent. Dans le même temps, d'autres recherchent la norme, la règle, au nom d'un passé devenu dogme, laïques ou religieux autoritaires et expansionnistes (les "monorétros"). La tolérance reçoit l'intolérance comme une grenade dégoupillée en pleine gueule.

Voilà pourquoi, les socialistes et les écologistes devraient lancer ouvertement un Bad Godesberg pour une planète juste et durable. Sortir des peurs pour agir. Accompagner les énergies nombreuses. Dans un double mouvement de rapprochement. Si les socialistes commencent à s’intéresser aux questions de justice, de morale, ils ont à comprendre que les pollutions ou la malbouffe ou l’acculturation galopante pour fabriquer des consommateurs serviles ou les entreprises non éthiques frappent d’abord les plus pauvres. Les écologistes, eux, ont mis en évidence des questions (climat, énergies non renouvelables, pollutions, nucléaire, alimentation…) qui caractérisent les grands enjeux globaux. Mais à eux de convaincre qu’ils ne s’intéressent pas juste à quelques-uns, qu’ils parlent pour partout et pour des masses entières dans le monde, sans frontières. A eux de démontrer qu’ils ne sont pas des utopistes, qu’ils sont les seuls réalistes aujourd’hui, faisant face à des nécessités immédiates d’ici, au plus proche.

Juste et durable, voilà donc le troisième terme, le troisième dialogue nécessaire. Au sein d’une Terre en décroissance ? Cette notion est incompréhensible pour le public. Elle paraît réactionnaire au sens propre. Elle est incompréhensible pour celles et ceux qui souffrent dans leur vie quotidienne. Ce sont bien des croissances diversifiées qui sont nécessaires, des modes de vie variés et évolutifs (suivant son lieu et ses souhaits). Avec des objectifs généraux : un big bang de la pensée sur nos modes de vie, le passage de la société du spectacle aux sociétés des spectateurs-acteurs, la reprise en mains de l’économie par une vision politique, au service de toute la société, des sociétés. Le marché –oui--, mais avec la régulation de labels, les exigences des consommateurs-acteurs.

Cessons donc de réfléchir suivant un angle fermé. Pas de repli national, mais pas de globalisation aveugle régie par les intérêts de quelques-uns. Pas d’idéalisation du passé ici ou chez les autres, mais pas d’idéologie du progrès faisant table rase d’hier. Pas de justice sans conception d’un monde durable en transformations, économiquement et culturellement. Un fatalisme dynamique, le temps de la relativité contre le relativisme.

A l’heure de l’ubiquité entre ici et partout sur la Toile, nos enjeux fondamentaux tiennent ainsi dans trois dialogues : le local-global, le passé et l’innovation (rétro-futuro), la justice et la durabilité. La tension dynamique entre ces termes bâtit notre environnement. Ne nous trompons plus d’échelle. Propageons nos idées avec courage et ténacité malgré l'aveuglement. On ne cessera de nous rejoindre, même sans le reconnaître (www.see-socioecolo.com).

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01 : 06 : 11

Au-delà de l'indignation

Il est des moments où ce que chacun voit ne semble pas avoir du tout la même interprétation publique. Evidences d’aujourd’hui, absurdités de demain. Le rideau se déchire pourtant. Peut-on écouter d’autres manières de concevoir l’organisation sociale, les valeurs et les conduites individuelles ? Ainsi, un décalage patent se développe entre les visibles et les invisibles. Les premiers ne sont pas une « élite » dans un temps où le savoir et la création ont été bannis de la valorisation publique. Les seconds ne sont pas un groupe organisé, au temps où la précarisation gagne et l’exclusion de la sphère décisionnelle devient la règle. Ouvrons les yeux : au-delà d’une petite sphère de riches et puissants, vivre dans ce pays devient de plus en plus difficile matériellement et moralement pour la grande majorité des habitants toutes générations confondues : logements hors de prix, ascenseur social totalement en panne, coût des denrées du quotidien… Sans parler de la perte de repères et de la détresse psychique.

Cela conduit à une ambiance d’Ancien Régime sans la philosophie des Lumières. Allons-nous vivre un de ces soulèvements dont notre pays a le secret ? Au risque de tomber dans des remèdes parfois pires que le mal ? Ou la sphère civile va-t-elle se développer en dépit d’un pouvoir autiste, avec ses règles, ses valeurs ? Ce qui est certain est que la télévision déliquescente concentre la caricature du pays dans une acculturation sans précédent et le passage en boucle des mêmes à la longévité historique avec un perpétuel regard rétro et un langage de la peur (le primat du fait divers) pour maisons de retraites. Dans l’indifférence générale. Peut-on enfin écouter d’autres analyses ? Depuis 30 ans, on commence pourtant à intégrer le nouveau dialogue de l’individu avec la planète. Chacune et chacun porte l’universel en soi.

Dans ce cadre, l’offre politique ne correspond indéniablement plus aux attentes. Et, de plus, les nouveaux mouvements de protestation restent incompris.

Qui parle pour demain ?

Tâchons d’analyser rapidement l’offre politique actuelle en France. Le Président du moment, en reprenant les thèmes du Front national, l’a fait grimper artificiellement. Sa stratégie payante attrape-tout de campagne électorale (du Front national à Jaurès) est devenue en fait pénalisante une fois au pouvoir. Résultat : un Front national surgonflé sur un programme d’isolement nationaliste totalement impraticable dans le monde d’aujourd’hui. D’ailleurs, qui –même au Front national—croit vraiment que dresser des murailles autour de l’Hexagone va apporter le bonheur aux Français ?

Résultat aussi, un Président illisible quoi qu’il fasse, à force de surcommuniquer dans des sens contradictoires. Lui qui avait senti le besoin de rupture et de réformes dans un pays très assoupi intérieurement depuis le deuxième mandat de François Mitterrand, a voulu réformer tous azimuts sans ligne directrice claire et avec des sorties de routes fatales (« l’environnement, ça suffit ! » après le Grenelle de l’environnement), lui faisant perdre même le bénéfice de ses actions novatrices. Le rejet est terrible, quand le « bling-bling » de l’argent facile tombe en pleine crise boursière où le rôle des banques et des actionnaires n’a jamais connu un tel discrédit. Il est fatal quand les valeurs sont défendues par d’autres (le kidnapping de la citoyenneté par Marine Le Pen) et que la novation réformiste échappe (Borloo en voie d’autonomisation).

Mais existe-t-il une offre alternative ? Le centrisme, jadis appelé le « marais », est un méli-mélo de technocratie en col blanc et d’humanisme bien peu lisible, toujours en quête d’alliances et d’objectifs clairs. Il fait illusion par moments, par défaut. A gauche, qu’espérer d’un Parti socialiste occupé de prouver qu’il sait gérer, dirigé par une caste mitterrandienne indéboulonnable ? La belle affaire. Ce parti est désormais attendu en réalité sur les questions de justice, de probité et de renouvellement de générations. Voilà pourquoi d’ailleurs la candidature de Dominique Strauss-Kahn formait une bulle artificielle prête à exploser à tout moment. Le Parti socialiste est à un moment crucial où il lui faut replacer le dessein politique devant la cuisine économique. Et il est attendu aussi sur une conversion à l’écologie qui ne soit pas juste de façade, mais un regard lucide sur le monde.

Car il faut sortir de deux inepties concernant cette question. Non, l’écologie n’est pas une affaire de riches. La malbouffe touche les plus pauvres d’abord. Les pollutions des villes attaquent les bébés de tous les milieux. Non, l’écologie n’est pas une question pour demain, juste un luxe pour aujourd’hui dont on pourrait s’affranchir. C’est maintenant que des pollutions gigantesques se développent dans les mers, sur les terres, dans l’air et les eaux. C’est en ce moment qu’opèrent des acculturations de masse sur la planète entière au nom d’un consumérisme passif suicidaire. Enfin, à l’heure des tsunamis et des épidémies, croit-on qu’il existe des frontières entre pays riches et pays pauvres ?

Les écologistes, quant à eux, apparaissent souvent comme sympathiques mais peu crédibles. Il leur faut montrer qu’ils sont un parti de gouvernement, qu’ils ont des réponses lucides sur les questions de fond de nos sociétés et que ce sont les seuls qui regardent le futur et le préparent. Ainsi, la notion de « décroissance » reste incompréhensible à l’heure de la précarisation, du chômage et du décrochage social. Chacune et chacun comprend pourtant désormais qu’imposer un modèle global de vie à la planète –insatisfaisant de surcroît pour celles et ceux qui le subissent et détruisant durablement les ressources collectives en multipliant les pollutions—est inepte. On ne veut et on ne peut pas vivre de la même manière à Ouagadougou, Saint-Agrève, Shangaï ou Vientiane. Les seules solutions sont des solutions de croissances diversifiées, de retour au local --sur lequel chacune et chacun a prise-- de pensées en réseau planétaires. Et l’avenir est à des entreprises éthiques, des consommateurs citoyens, des spectateurs-acteurs. Une autre organisation d’un monde solidaire.

Les écologistes sont en fait les seuls réalistes, les seuls qui osent penser la planète interdépendante et le pouvoir de chacun pour orienter ses comportements et son mode de vie. A condition de ne pas devenir les serviteurs d’une nouvelle religion, de rester toujours en échanges et en débats. Mais cela est-il assez affirmé ?

Parlons enfin de la dernière catégorie de l’offre politique actuelle en France –la gauche autoritaire néo-révolutionnaire. Elle bégaie. Partant d’un constat juste (les injustices croissantes), elle n’offre aucune solution crédible, se réfugiant comme le Front national dans un antieuropéanisme et un antimondialisme, une politique de la muraille hexagonale, totalement grotesques. Pire, elle préconise des bouleversements dont les conséquences liberticides font frémir celles et ceux qui ont de la mémoire. Quand à nos développements durables, peu lui chaut.

Dans un tel contexte, quoi d’étonnant à ce que beaucoup se sentent démobilisés et non-représentés.

Des sociétés kaléidoscopiques

Pour une fois, l’exemple vient du Sud (si, du moins, on accepte cette orientation subjective de la planète dans l’espace). Les mouvements intervenus dans le monde arabe et aujourd’hui en Espagne sont des signaux forts. L’Allemagne décroche avec le nucléaire. Ces mouvements montrent d’abord une planète de la relativité où partout les individus et les peuples veulent prendre l’initiative de leur devenir dans des modèles à inventer. Avons-nous des leçons à donner quand nos sociétés produisent des inégalités croissantes dans des restrictions comportementales de plus en plus grandes avec de puissants conformismes de pensées ? Ils le font, comme nous, avec le sens de la fragilité, l’instinct des périls, la peur historique des basculements autoritaires. Nous les voyons comme naïfs, non politisés, parce qu’ils n’adhèrent pas à une idéologie, à des groupes structurés. C’est là probablement, au contraire, leur sagesse : ils bannissent ces conceptions du monde uniques, exclusives, inévitablement autoritaires.

La fameuse « indignation », qui est une protestation basique, a le sens premier et la vertu de ne jamais accepter l’inacceptable. C’est un cri de résistance. A partir de là, tout est à construire. Voilà une sorte de fatalisme dynamique. Voilà un évolutionnisme pluriel : remuer sa société en sachant que le but n’est pas d’imposer une seule voie, une façon de penser, une fin de l’histoire par le Bonheur et un mode de vie parfait, mais expérimenter des solutions nouvelles et récupérer des méthodes anciennes oubliées (le rétro-futuro). Cela correspond à l’état de nos sociétés, partout : nous avons toutes et tous des identités imbriquées dans des histoires stratifiées du local au mondial. Alors, quand ces peuples sortent de la répression, ils veulent la diversité d’expressions. Quand ils protestent contre l’injustice économique, ils cherchent à inventer des modes de vie innovants. Partout, la résignation et l’impuissance ont été les maîtres mots sous couvert de « crises » successives depuis les années 1970, un inacceptable discours de la passivité malheureuse.

Mais les contraintes de survie mondiale et les moyens des nouveaux échanges par Internet changent indéniablement la donne. Quand les Inuit de Kangirsujuaq au Nunavik décident que leur supermarché sera de propriété collective, ils ne font aucun bain de sang, aucune révolte. Ils agissent directement sur leur quotidien, comme les Tunisiens ou les Egyptiens. Pas de label politique ? Pas de volonté surtout de tomber d’un système fermé à un autre système fermé. Nous avons le droit aujourd’hui à la pluralité de convictions, d’habillement, d’attitudes, d’habitat. Les Inuit ont le confort nord-américain en gardant les pratiques collectives liées à la chasse et à la pêche. Et nous assistons alors à des oppositions d’une autre nature, sur un autre terrain. Elles traversent les générations –conjugaison de générations—entre celles et ceux partisans d’une manière de vivre figée, souvent autoritaires et prosélytes (monorétros), et les défenseurs de la diversité et du mouvement (plurofuturos). En tout cas, nous vivons dans du local au milieu de sociétés kaléidoscopiques.

Alors, on nous dit que nos jeunes sont démobilisés et que nos classes défavorisées ne croient plus en rien. Mais n’est-ce pas au contraire que nous avons vécu les pouvoirs corrompus du capitalisme et du communisme, les oligarchies coercitives, et que nous souhaitons désormais partout –à Tunis, Buenos-Aires, Paris ou New York—respirer dans un monde d’échanges où chacun peut diversifier la diversité, se sentir rétro-futuro, choisir ses modes de vie et de pensée, dans un contexte local-global de dialogues interplanétaires.

Oui, il est probablement temps d’ouvrir nos esprits et notre compréhension de la planète, sans ignorer les périls et les embuches, mais avec des objectifs personnels, de notre collectivité proche, et internationaux. Après l’indignation, voici les pistes d’expérimentations. De nouvelles visions émergent. Chaque moment historique est une chance à saisir dans des vies qui sont des aventures précaires. Bâtissons du sens. Comprenons nos villages et nos continents pluriels. Peut-être le vent se lève au Sud…

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14 : 05 : 11

Echanges de générosités, Borloo, le cas DSK

ECHANGES DE GENEROSITES, BORLOOEEN ? ET LE FAMEUX CAS DSK

ECHANGES DE GENEROSITES

Le 11 mai 2011 à 11h eut lieu au château de Grignon près de Versailles (où sont basées les collections du Musée du Vivant) un petit moment magique. Dans un happening par un temps irréel, l'artiste suisso-libanais Hafis Bertschinger déroula 10 peintures géantes en cascade de 10 mètres de long, comme 10 langues aux fenêtres, sur la façade du château. Il fut aidé avec enthousiasme par l'équipe du site et du musée, tandis que quelques invités de Suisse, ou d'Afrique du Sud, de Corée et d'Australie regardaient, médusés, depuis les pelouses, cet hommage à René Dumont et à la nature. Un vent malin se chargea de faire vivre ces oeuvres. Tandis que chacun et chacun, dans cet échange de bonnes volontés entre un artiste et une institution, songeaient, perdus, à ce que pouvait être un moment de grâce.

Un film de l'événement sera projeté à 15h30 le jeudi 9 juin lors du grand hommage à René Dumont au 16 rue Claude Bernard (venez nombreux, c'est là, nulle part ailleurs et à aucun autre moment ! gratuit bien sûr). Une nouvelle économie de la générosité, du don réciproque, se met en place.

ET COMMENT NE PAS ETRE BORLOOEEN : un peu d'analyse politique ?

Il y eut le système booléen, voici l'apparition des Borlooéens. Je récupère  en effet un tract du parti radical émancipé de l'ex-ministre Jean-Louis Borloo. Il est titré : "Vous êtes républicain, écologiste et social ?" Bof oui, après tout. Comme SEE (www.see-socioecolo.com),  il insiste sur la durabilité et la justice sociale et se revendique d'une pensée "différente". C'est donc du "ratisse large". Heureusement que SEE a publié et diffusé largement son programme, car sinon on penserait à de la copie.

Les intentions sont donc bonnes. L'affichage est éloquent et insiste sur les points qui nous semblent importants. Mais la question reste évidemment politique : comment concilier cela avec un positionnement à droite et un soutien à Nicolas Sarkozy au second tour (si ce dernier y parvient) ?

Personnellement, même si j'ai été sidéré par les débuts de présidence (Fouquet's, yacht, Carla...), j'ai toujours refusé la diabolisation, attendant les actes. Aujourd'hui, à l'heure du bilan, cette présidence qui se voulait réformatrice, s'avère brouillonne, sans ligne directrice, et surtout avec  la gestion hyper-autoritaire d'une petite clique se défiant de l'appareil d'Etat et dressant les Français les uns contre les autres, tout en ne cessant d'orienter les débats autour des thèmes du Front national au lieu d'enfin prendre en compte la mondialisation pour y peser. Il serait catastrophique de doubler la mise. UNE PRESIDENCE VERSATILE ET DESTRUCTRICE, sans vision, autoritaire, favorisant une petite oligarchie.

Nicolas Hulot a dû dire finalement qu'il appellerait à voter contre Sarkozy au second tour. Borloo est coincé politiquement : comment affirmer que s'il n'est pas le candidat de droite au second tour, il n'invitera pas à voter Sarkozy ? Du coup, toutes ces bonnes intentions deviennent un écran de fumée pour candidat d'appui au président actuel.

Il est donc temps de penser de véritables alternatives pour que la gauche --voir la panne idéologique des socialistes-- invente enfin des idées pour aujourd'hui.

LE CAS DSK

Dans le maelström sur l'affaire DSK, trois constatations. D'abord, l'hallali public brutal montre bien les excès du news market (il ne faut pas fournir des informations, mais les vendre). En images, on a la fin du film avant qu'il ait commencé (le procès). Une curée et de grandes hypocrisies dans cet extrême décalage entre l'événement (un procès pas commencé) et les scènes livrées.

Deuxièmement, la théorie de la relativité se vérifie encore avec deux points de vue radicalement différents des deux côtés de l'Atlantique sur exactement les mêmes informations. Aux Etats-Unis --ce qui semble plus logique-- la victime apparaît comme la plaignante (pauvre et disant avoir subi des sévices). En France, du moins dans un premier temps, les rôles étaient inversés. 

Enfin, toute cette affaire --quelle qu'en soit l'issue-- montre l'extrême fragilité de ce candidat putatif, dont l'image --très "sarkozienne"-- est aux antipodes des attentes d'une population subissant dans sa majorité la hausse hallucinante de l'immobilier, celles des produits de la vie quotidienne et le chômage. DSK était de fait (il le pressentait apparemment) un candidat "fragile", constituant une bombe à retardement pour la gauche. La crise ayant eu lieu avant même toute déclaration de candidature, voilà les socialistes libérés d'un danger considérable et d'une erreur stratégique patente (un piège béant construit par la droite ?).  Maintenant, ils doivent prendre en mains leurs responsabilités historiques : union, solidarité, ouverture pour rassembler (sur les questions centrales de justice et d'écologie, dans une vision claire de la mondialisation  avec un dialogue local-global, toutes choses mises en avant par SEE depuis longtemps). La route est droite, essentielle pour la communauté française, même si les périls ne cesseront pas --n'en doutons nullement.

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03 : 05 : 11

L'ectoplasme évaporé

La caractérisation du Mal autour de personnages-leaders est un phénomène ancien et qui a connu avec Hitler un sommet historique. Ces personnages étaient et sont hypervisibles, hypermédiatisés, hyperactifs. 

Avec Ben Laden, nous observons tout l'inverse. Ce personnage est ectoplasmique. Il apparaît peu, sur des images amateur, comme un sage ermite à longue barbe dans la montagne.  A la fin, il devient un homme-radio,  un homme-messages, sans figure. Aujourd'hui --comme pour Hitler et pour éviter tout culte post-mortem--, son corps a disparu. Images ou pas images de sa mort, de toute façon rien ne fait preuve (et les Américains craignent de faire un martyr avec les vues du cadavre défiguré ou de l'assaut, comme ce le fut avec Che Guevara en 1967. De plus, ils ont opéré l'évaporation marine du cadavre pour éviter tout lieu de culte (tel Hitler physiquement disparu en 1945). Bien sûr, les images sortiront un jour ou l'autre.

Pourtant, le cas restera totalement singulier. Sa quasi invisibilité et la visibilité à rebours de son rôle rendent Ben Laden irréel. En images, Ben Laden n'a pas existé.

PS Rien à voir, si ce n'est pas l'entremise d'Edgar Poe. Un autre invisible, peintre de l'effroi, du fantastique ou du merveilleux, enfin sorti de l'oubli. C'est la plus exceptionnelle exposition parisienne actuelle, une claque, enfin autre chose que les sempiternelles redites du business culturel, à voir pour être fasciné ou détester mais à voir absolument : le très grand et le très indépendant et le très expérimental et le très exigeant Odilon Redon.

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27 : 04 : 11

Ne laissons pas le champ des idées aux néoréactionnaires !

Généralement, les textes-tracts sont éphémères et circonstanciels. Ils se lisent à peine et se jettent, gâchant le papier. Voici tout l'inverse : 30 à 40 ans de réflexions résumées en une feuille, téléchargeable, diffusable, tirable sur papier, distribuable. Pour une fois, lisez et conservez. Ce texte a été distribué --symboliquement, historiquement et dérisoirement-- à l'Assemblée nationale française le mardi 3 mai 2011 (photographie par Jean-Hugues Berrou). Il a été posté et mailé aux politiques et aux médias.

Ne cédons rien à l'aveuglement et à la paresse intellectuelle. Occupons le terrain des idées. Diffusez-le. Faites savoir.

Stop !

Regardez les vraies urgences


Chômage ?

Il est temps d’instaurer une pensée de l’utilité sociale qui change le rapport au travail (un travail-enfer ou un chômage-enfer contre des loisirs-paradis). Ainsi les frontières mentales seront abolies entre travail salarié et travail non salarié. Ainsi pourront être qualifiées et labellisées des entreprises éthiques (fonctionnement interne, nature des produits et services, utilité sociale et environnementale). A cet égard, les systèmes coopératifs ou mutualistes (pour les banques) prendront une actualité nouvelle. Enfin, il est indispensable d’évaluer des administrations efficaces et utiles, évoluant dans leurs services, qui font parfois ouvertement de l’insertion sociale.

Pouvoir d’achat ?

Il faut remettre l’économie au service du politique. Pour cela, retour à l’hyper-local : d’abord s’occuper de notre vivre-en-commun et en déduire localement ce que cela signifie. Veux-t-on vivre à Limoges comme à Carpentras ? Il est temps de penser des micro-économies et des micro-marchés dans des croissances diversifiées. Pas un productivisme uniformisé planétaire destructeur de l’environnement, ni une sorte de big bang de la décroissance, mais du « tri sélectif » adapté à chaque situation, à Wellington, Shangaï, Ouagadougou, Houay Gnoum ou Saint-Agrève.

Insécurité ?

C’est par l’action de consommateurs-acteurs que s’organise la vie de nos villages (en Ethiopie ou dans le Cotentin) et de nos micro-quartiers dans les villes et mégalopoles (Sao Paulo ou Marseille). La question n’est pas seulement la responsabilité, la mobilisation des familles, la sanction partout égale, mais aussi des choix directs de priorité à la proximité, d’éducation, de solidarités, d’agricultures vivrières contre des monocultures intensives, de fiertés collectives par des actions communes… La morale (ou le moral) du quartier est la morale (ou le moral) de chacune et chacun, son imagination, sa mobilisation dans la valorisation de son lieu de vie.

Education ?

Il est temps d’analyser quelle est la boussole éducative nécessaire à notre environnement (lire, écrire, compter, mais aussi se situer géographiquement et historiquement, philosophiquement, visuellement ou musicalement…). La priorité est à l’acquisition de ces bases pour toutes et tous. Ensuite, il importe d’assurer des apprentissages tout au long de la vie, car une politique de castes par diplôme (qui ne signifie rien en capacité à animer des équipes et innover) reste inadmissible, tout en constituant un extraordinaire gâchis d’énergies. Le mouvement permet également –dans une optique d’utilité sociale renouvelée—d’opérer une conjugaison des générations, abolissant le couperet drastique et stupide de la retraite. Faisons tout cela dans une restitution du sens de l’effort, du travail, de l’excellence. Admirons à nouveau nos savants et nos pédagogues et pas seulement nos sportifs et nos bateleurs.

Santé ?

L’affaire est individuelle, comme une grande peur. Elle est collective aussi (accès aux soins pour toutes et tous). Le fatalisme dynamique reste la seule façon de comprendre la catastrophe naturelle et le drame personnel comme normaux, aussi normaux que leur absence. L’individu doit désormais se responsabiliser face à sa santé et celle de ses proches (comas, longues maladies…), ne pas être un consommateur de poudres magiques, de gourous ou d’opérations-éclair mais engagé dans une vraie réflexion sur l’intensité, la durée, le risque choisi et la possibilité de l’arrêt. Soyons adultes.

Justice ?

La justice est devenue une langue étrangère faite pour les avocats et les juges, bourrant des prisons indignes productrices de délinquance. La justice doit reparler une langue compréhensible par toutes et tous, dans les prétoires ou en dehors. Car la justice n’est pas juste affaire de procédures mais l’enjeu général d’un vivre en commun. Elle ne signifie pas l’égalité, notion impossible à mesurer dans notre univers de diversité. Elle suppose surtout des règles semblables. Disons-le, un peu partout dans le monde à quelques exceptions près (des micro-communautés souvent), l’organisation générale de la société est inacceptable moralement et économiquement. Aujourd’hui --il faut le souligner--, l’accumulation exponentielle de l’argent dans quelques mains est particulièrement dangereuse (crises) et improductive. Localement et mondialement, le système doit être transformé, par des règles de transparence et de redistribution, l’arrêt de spéculations artificielles, l’imposition lourde des héritages les plus considérables, le développement de l’impôt sur le revenu face aux impôts indirects, la nécessité de la redistribution quand l’argent n’a plus de sens, la compréhension de la monnaie comme juste un aspect de l’utilité sociale….

Peur du lendemain ?

Dans son quartier, dans son village, nous sommes toutes et tous dans la même barque. Les crises, les tsunamis, les nuages volcaniques ou nucléaires, les pollutions des mers, les médicaments dangereux ou la nourriture cancérigène sautent allègrement d’un continent à l’autre. Les infos aussi. Voilà pourquoi toutes les théories de la muraille, du bunker, de l’exclusion, sont mensongères et idiotes. Peur généralisée ? Maîtrise d’ici, où que l’on soit. Le rapport local-global nouveau est bien celui-là : sortir de la société du spectacle pour devenir des spectateurs-acteurs en réseau qui dialoguent. L’isolement n’a pas de sens, mais la crainte d’être broyé dans un monde sur lequel on a perdu toute maitrise non plus. Notre pouvoir local reste direct et considérable –plus important d’ailleurs aussi en le montrant et en le faisant savoir, comme lorsque les Inuit de Kanjirsujuuaq expliquent comment ils sont tous coactionnaires de leur supermarché. Alors, la logique veut que les armées disparaissent petit à petit au profit d’une police planétaire, agissant au nom de valeurs collectives évolutives minimales laissant le maximum de latitudes locales.

Environnement ?

Plus personne vraiment ne nie désormais l’impératif écologique. Le plus passionnant en la matière n’est pas le catastrophisme ni les donneurs de leçons d’une nouvelle religiosité, mais le fait que nous sommes obligés de repenser profondément nos comportements individuels et collectifs. Pas pour une petite élite. Les pollutions et la malbouffe touchent les plus pauvres partout. Ainsi, l’expérimentation écologique, la recherche de solutions nouvelles et diversifiées, conduisent à penser rétro-futuro : ce qu’on garde, ce qu’on récupère, ce qu’on abandonne, ce qu’on invente. Nul doute qu’une organisation planétaire minimale (un pacte évolutif) ne soit indispensable pour pouvoir orienter la barque commune. Nul doute qu’il ne faille préserver une indépendance scientifique contradictoire pour nous éclairer.

Traditions et culture ?

Les cultures sont en perdition ? Il faut se protéger et préserver la baguette comme la pâquerette ? Parti voici quelque 60 000 ans d’Afrique, homo sapiens n’a cessé d’évoluer dans ses expressions culturelles. Nous sommes donc toutes et tous des Africaines et des Africains en métamorphoses. Plutôt que de parler de culture, il faut caractériser des formes culturelles : le pluriel s’impose. Il s’impose parce que nous avons des identités imbriquées (brestois, passionné de Japon, juif, taoïste, rugbyman…) et des histoires stratifiées (locale, régionale, nationale, continentale, mondiale), en vivant l’ubiquité (ici et avec tout ce que nous regardons sur écran). Il s’impose parce que nous pouvons tenir au baroque praguois comme au catch, au rap comme à Hitchcock, à la cuisine comme aux romans sud-américains. Alors, aider aux productions culturelles diverses (qui font image de plus) est donc aussi important que de permettre, non seulement de préserver la diversité (ce qui serait conserver l’existant seulement) mais surtout de diversifier la diversité (c’est-à-dire innover, inventer).

En ce sens, par exemple et tant qu’il existe, le service public télévisé doit être totalement repensé dans des impératifs visibles où le savoir et la création redeviendront des modèles sociaux. Quand à la notion de patrimoine, elle est large et induit, pour chaque société et avec des remises en cause constantes, de choisir ce qui est conservé, ce qui est restauré, ce qui est laissé à l’usure du temps, ce qui est donné ou vendu, ce qui est détruit. Le tout-conservation aveugle ne peut être une politique durable pour des sociétés en évolution.

Bonheur ?

Voilà un mot dangereux. Que de crimes ont été commis en son nom. Que de sacrifices inhumains. Il est temps d’adopter une conception expérimentale et évolutive de l’existence, une conception relative. Alors que nous désespérons souvent de nos modes de vie ici en Europe, nous les exportons de façon violente dans le monde. Ce faisant, en quelques années, nous acculturons des pays entiers par nos subventions, notre pacotille, nos médicaments et nos ONG faisant le Bien ou nos images. Il n’est certes pas de forêt primaire et de civilisation sans évolution et il apparaît normal que chacune et chacun change, mais cela doit se faire dans une bourse mondiale des comportements. Un Yao en pleine forêt a autant raison qu’un Parisien de la Goutte d’Or. Pas de progrès, pas de regrets, un mouvement rétro-futuro, une dynamique évolutive.

Alors, dans ce monde multipolaire, ce monde de la relativité, ce qui devient la vraie césure réside entre les tenants du pluralisme (accepter la pluralité de conceptions du monde et évoluer : plurofuturos) et ceux de la voie unique (avoir une conception arrêtée et figée et vouloir l’imposer partout : monoretros). Désormais –religieux ou pas religieux--, le pluralisme est, pour certaines et certains, un combat sans cesse à renouveler.

Rejoignez-nous, propagez ces idées.

www.see-socioecolo.com

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05 : 04 : 11

Socio-ecolo from everywhere !

Le parti socialiste français a fait 30 propositions pour l'élection présidentielle de 2012. Elles sont intéressantes et prometteuses, donnant des signes dans les domaines qui nous semblent prioritaires : justice et durabilité (voir SEE). Néanmoins, trois aspects manquent : la revitalisation du local, la place du savoir et de la création comme modèles sociaux et la solidarité planétaire. Tentons de hausser les perspectives pour mettre en évidence ces enjeux et aider notre pays à bouger, s'ouvrir, continuer à faire modèle (avec d'autres).

La revitalisation du local consiste à responsabiliser chacune et chacun pour une vraie démarche de citoyenneté. Des consommateurs-acteurs pèsent sur les micro-économies diversifiées des territoires. Des modes de vie et des comportements variés peuvent se développer. Veux-t-on vivre à Quimper comme à Meaux ? Il est temps de comprendre les marges de manoeuvre considérables que nous avons sur notre vivre-en-commun, ne serait-ce que grâce à nos choix de consommation. Les Inuit de Kanjirsujuuaq sont copropriétaires à égalité de leur supermarché et de leur banque. Chaque ville est un agrégat de petits quartiers. Chaque immeuble est une communauté de vie. La vision déstabilisante de choses décidées de loin dans une globalisation aveugle se combat par des comportements de proximité. Il faut réveiller les solidarités locales où chacune et chacun peut agir directement. C'est la remise à plat d'une économie qui devient la conséquence d'attitudes philosophiques individuelles, de choix personnels pour la vie collective dans son univers directement visible.

Deuxième aspect : la mise en valeur du savoir et de la création comme modèles sociaux est désormais un impératif fondamental des sociétés actuelles. La seule visibilité des puissances d'argent ou politiques ou sportives ou des bateleurs médiatiques (chanteurs, acteurs, actrices) ne peut suffire comme modèle pour nos enfants. Cela constitue de plus une vision déformée de l'utilité sociale. Il faut réévaluer le travail comme un moyen d'émancipation et de développement individuel, en sortant de la caricature : travail-enfer, loisirs-paradis. C'est bien à des entreprises éthiques que nous appelons, à une vraie réflexion interne sur les fonctionnements et à la visibilité publique induite. C’est à des administrations efficaces que nous appelons aussi, car le service public est central pour nos sociétés. C’est enfin à un tissu d’associations qui permettent la conjugaison des générations et l’insertion que nous appelons.

Pour tout cela, l'éducation est fondamentale. C'est là où le respect du savoir s'établit et où chaque enfant peut disposer d'une "boussole éducative" : lire, écrire, compter, certes, mais aussi se situer dans l'espace et dans le temps, maîtriser son corps et avoir des repères face à cette nouvelle interface à notre ère de l'ubiquité : le bombardement d'images venues d'ailleurs. L'éducation se fait tout au long de la vie dans une vision évolutive des tâches.

De plus, la déqualification à l'oeuvre par le brouillage et la circulation de tout et n'importe quoi doit être combattue grâce à la mise en valeur des scientifiques et des créateurs. Il faut redonner de l'ambition --et une raison d'être-- au service public télévisé, par exemple, comme à l'édition aidée d'ailleurs. Les cultures sont des expressions sociales fondamentales sur plusieurs niveaux : la défense des diversités d'expressions ; les industries culturelles et leurs développements planétaires ; les images de marque des territoires. Ce sont bien ces ambitions renouvelées avec la volonté de structurer des pôles d'excellence en réseau qui doivent dynamiser ce qui reste peu visible et faire modèle.

Enfin, les catastrophes nous montrent que nous sommes entrés sur une planète pas seulement finie mais inévitablement solidaire. Nous y avons des identités imbriquées dans des niveaux qui vont du local, au national, au continental, au mondial. Il faut penser ici et partout. La chance offerte par les questions globales --énergétiques, de pollution, alimentaires, climatiques...-- réside dans l'obligation de structurer un pacte mondial minimal commun et de repenser, avec une variété de solutions, les comportements quotidiens. La relativité générale conduit à expérimenter partout, écouter, évoluer, sortir de l'illusion d'un modèle parfait applicable uniformément.

La fin de la vérité absolue pour tout le monde,  à l'heure des diversités de convictions et d'interprétations du réel, est une très bonne nouvelle. Elle situe le véritable affrontement à venir : les tolérants qui acceptent (et désirent souvent) l'altérité et les intolérants qui veulent imposer une vision arrêtée de l'histoire et uniformiser les comportements. En antireligieux cohérent, je me sens plus proche d'un religieux tolérant que d'un athée intolérant. Et suis prêt d'ailleurs à combattre toute persécution dans ce domaine.

Voilà donc les termes des vrais débats de fond à mener. Haussons le ton et servons-nous de cette élection présidentielle pour afficher des ambitions, en sortant de débats fétides et éculés qui ne sont en rien porteurs de solutions d'avenir.

PS J'ai eu, après ce texte, un échange électronique avec Michel Onfray. Il a en effet publié dans le journal Le Monde du 3 avril 2011 un article sur les trois gauches françaises : libérale, anti-libérale et libertaire. La distinction est assez juste, sauf qu'il oublie la variable écologiste conduisant à reclassements et sous-classements et liant parfois des tendances qui vont de la droite  bonapartiste ou démocrate-chrétienne aux libertaires. Personnellement, je suis écolo-libertaire et pense que les dimensions sociale et environnementale sont fondamentales (voir SEE). La gauche anti-libérale, que j'appelle autoritaire, m'a toujours fait peur depuis la fin des années 1960, d'où mes amitiés situationnistes et libertaires ou ma seule adhésion au début des années 1970 : au Collège de 'Pataphysique.  D'où le fait que j'ai toujours considéré que le romantisme terroriste des anarchistes perdit le mouvement. Mes amitiés n'ont pas cessé (voir mon film  A travers les utopies). Avec l'âge, j'ai voté pour la gauche libérale et le referai en espérant qu'elle puisse être aiguillonnée par les millions d'écolo-libertaires. Car --je le vois dans le monde-- des masses entières de personnes sont en fait sur cette position théorique dans leur manière de se comporter, sans jamais la définir ainsi par volonté de ne pas s'enfermer dans une étiquette. Du coup, le peu de mobilisation de ces millions de personnes, leur totale invisibilité quand 10 crétins extrémistes occupent les médias et aussi leur non-représentation, puisque la plupart ne votent pas. C'est un grave déficit du système dit-démocratique. Désormais, il faut agir localement, mais aussi le faire savoir. Justice et durabilité.


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30 : 03 : 11

Nouveaux médias, nouvelles idées

La période actuelle est délétère. Il est vraiment temps de renouveler totalement nos manières de penser et les vecteurs de nos idées. 

Avec SEE  (www.see-socioecolo.com), nous tentons de faire comprendre aux Français que les débats sans objet sur leur identité ou quelques boucs émissaires nous ont été servis depuis trop longtemps. C'est un écran de fumée aux vrais problèmes. J'ai envoyé la brochure SEE à beaucoup de personnalités et aux médias. Pas de réponse mais des signes : Martine Aubry parle le soir des cantonales à plusieurs reprises de "justice". Laurent Wauquiez avec d'autres signataires ou les responsables des différentes religions s'inquiètent des dérives d'un débat sur la laïcité.

Nous le répéterons : la présidentielle ne doit pas être l'occasion de s'embourber dans des questions délétères, mais traiter des deux vrais sujets essentiels pour le présent et le futur : la justice et la durabilité. Et de bouger : repartons du local, de ce sur quoi nous avons prise, pour interpeler le global.

Il est temps de cesser de dresser les Français les uns contre les autres et de dénigrer les compétences avec des ascenseurs sociaux en panne. Voilà pourquoi il importe de réévaluer le savoir et la création comme modèles sociaux, sous peine de tomber dans la marchandisation comme seule bourse de la valeur dans une acculturation généralisée, ce qui ne peut en rien former le socle pérenne d'un vivre-en-commun.

Nous ne nous ferons pas voler cette présidentielle par des caquetages excités sur des problèmes sans objet pour laisser en place tout ce qui ne va pas : l'oligarchie politico-médiatico-financière et la non-préparation du futur. 

Voilà  pourquoi l'écroulement médiatique n'est pas une bonne nouvelle : les anciens médias paniqués se concentrent et serrent les fesses, les nouveaux sont à peine émergents, peu nombreux et de peu d'audience. Alors l'argent et le marketing dominent à la télévision déliquescente évidemment mais aussi dans la presse et l'édition. On célèbre à juste titre Gaston Gallimard, au temps où un tel homme est impossible et serait foutu à la porte. Relisez le journal de Queneau ou l'album Pléïade Queneau et vous verrez quelqu'un qui ne vendait rien mais continuait à être publié. Impensable désormais, hormis un intérêt stratégique mais pas littéraire.

Dans les médias, c'est pareil : chacun a peur de perdre sa place. Vous avez des grands patrons qui passent allègrement de poste en poste, du Nouvel Obs au Figaro puis au Point, des multicartes qui se repassent les plats entre eux, même sur le service public télévisé, sans que personne n'y trouve à redire. L'amoralité et l'avidité n'ont jamais été à ce niveau. Parallèlement, il existe un lumpenproletariat médiatique précarisé dont les conditions de travail sont de plus en plus mauvaises, la marge de manoeuvre quasi nulle et la capacité d'enquêter impossible. Et puis, nos médias alternatifs restent souvent dans l'ombre.

La multiplication des médias est un moyen d'étouffer la diversité d'expression. En effet, le nombre (toutes ces fausses chaîne de télévision sans contenu ou ces milliers de sites Internet pour ne rien dire) noie le public et les quelques voix sérieuses et différentes ont du mal à émerger : on ne parle que de ce dont on parle. La vraie liberté d'opinion est en danger quand le savoir et la création ne sont plus des modèles sociaux respectés. Ainsi n'importe quel people hurlera une assertion factuellement fausse et personne ne le contredira, par ignorance. Si un vrai spécialiste le fait (et pas ces péroreurs de café du commerce qui s'arrogent des étiquettes, "philosophe", "sociologue", "historien"...), il ne sera pas entendu et, si par miracle il l'est, le "people" ne sera pas pour autant déconsidéré.

De plus, une étrange agressivité voit le jour.  La haine féroce des féodaux submergés. Alors, des péroreurs cacochymes (du genre Claude Hagège) s'étranglent pour le moindre accent circonflexe omis, tandis que la mutation quotidienne de l'écriture est immense. Personnellement, l'évolution d'une langue ne me terrorise pas même si je suis --dans ce domaine encore-- un adepte du grand écart, aimant la radicalité d'expressions crues du moment et la poésie d'un mot rare (j'ai le sentiment délicieux de le sauver en le prononçant, mais j'en invente aussi d'autres).

Pour le numérique en général, je suis pareillement consterné par la bunkerisation idiote des tenants d'un système ancien. Il va falloir panacher les pratiques. Un cri comme celui de raphaëlle Rérolle en "une" du Monde des livres contre l'auto-édition me fait beaucoup rire (j'espère que c'est une blague pour le 1er avril 2011). Car, contrairement à ce qu'elle écrit, le marketing vendant des livres comme des "boites de petits pois" n'est pas le fait des auteurs-éditeurs mais bien la conséquence de la disparition des éditeurs au sens gastongallimardien du terme ou bernardgrassettien. Bien qu'ayant beaucoup publié, je n'ai personnellement jamais été "suivi" par aucun éditeur et, désormais, échappant à la peoplisation, l'auto-édition est le seul moyen de sortir des ouvrages novateurs, d'échapper aux savonnettes.

Heureusement, il y aura un tri sélectif aux poubelles de l'histoire.

De même, ne jamais citer ce qui sort sur Internet de plus original pour en donner une image négative et claironner que le Net est le lieu des rumeurs et des fausses nouvelles, est ridicule. Il existe beaucoup d'infos maltraitées dans le système traditionnel, vite fait mal fait, avec des à priori lourds comme des immeubles et un panurgisme éreintant, rendant beaucoup de personnes inaudibles et invisibles, même si elles ont raison. Pourquoi pareille agressivité ? Pour garder son influence, en petit commando de la pensée ?

Pourtant, malgré le marasme d'un système aidé artificiellement ne servant que lui-même, les internautes demandent-ils la disparition du papier et la fermeture des officines sous respiration artificielle (avec argent de l'Etat) ? Non, nous nous organisons autrement et réclamons une attention égale et respectueuse. De toute façon, bientôt il existera probablement des entreprises au sein de groupes multimédia pour du marketing papier et des éditeurs de niches, micro-édition pouvant avoir par moments un succès plus large.

Ne nous lamentons pas : voilà les errements d'une mauvaise période de transition. Face à cela, il faut tenir le cap des idées (quitte à être récupéré), de l'intransigeance, et mettre en place des réseaux parallèles d'expression, comme ce site Internet.

Va-t-on enfin regarder le monde tel qu'il se transforme ou sempiternellement s'adresser aux plus veules et aux plus stupides, aux plus peureux et aux plus rétrogrades ? En souhaitant qu'ils le soient au lieu de les tirer vers d'autres idéaux. Nouvelles idées, nouveaux médias. Ici et partout, nous bougerons, nous n'accepterons pas la société de la haine et du fric, des pollutions et de la peur de l'autre. Et, même si personne ne nous donne la parole, nous sommes des millions, en fait.


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30 : 03 : 11

Parti de rien...

Parti de rien,

je suis arrivé nulle part

Le blues des 55 ans et de pas toutes mes dents

Certaines ou certains partent de quelque part. Ce quelque part ne consiste ni en un lieu, des personnes, un environnement, mais un héritage, une marque de fabrique, souvent financière, politique, religieuse ou de notoriété, toujours héritée. Concédons que cet héritage peut être lourd et difficile à gérer.

A l’heure où tout le monde montre ses plaies à la Terre entière, dévoile ses grains de beauté et ses verrues, ses peines de cœurs et ses maladies, je me considère comme parfaitement insignifiant et inintéressant. Certes, j’ai des caractéristiques biographiques mais bon, tellement anecdotiques que je n’en fais pas une soupe (et invite d’ailleurs mes congénères à nous lâcher un peu les baskets avec leurs éraflures de l’âme). Mon admiration profonde va à ces peuples du fatalisme dynamique, qui comprennent que le bonheur et le drame sont également inévitables et qu’il importe, face à cela, d’avoir le sens de la relativité et l’énergie du présent.

Parti de rien, de pas grand-chose donc, mais pour arriver où ? En rase campagne, en no man’s land, en Los Feld, en terrain vague. J’ai tellement réussi à brouiller les pistes que personne ne suit ? Une roulette où la boule tombe inévitablement ailleurs, chez les autres ? Il est difficile de poser un regard lucide sur le présent.

Livrons en vrac les spasmes d’un essai de bilan.

La vérité oblige d’abord à accepter son inefficacité. Suis-je parvenu à une fonction sociale valorisante ? A la fortune ? Honorable sûrement, valorisante pas vraiment. Disons-le nettement, ma vie est un échec en termes de pouvoir et d’argent. Un échec total à l’époque où les idées et la culture sont méprisées face au business et au show business. Mon père était nettement plus riche que moi, alors qu’à 55 ans mon banquier m’appelle encore pour des débits chroniques, quand se loger est devenu hors de prix pour les non-héritiers et les carrières moyennes devenues très médiocres. Mais sont-ce là les indicateurs de la satisfaction et du regard positif sur soi ?

Tout dépend des buts que chacune ou chacun s’assigne –ou devrait s’assigner. Moi, je suis incapable de tenir un bar, laver les verres et bavarder avec les amis en dormant sous les ramures de chênes quand le lac étale luit sous un soleil poudré. Du moins, le vivre dans la durée, la répétition.

Insatisfait perpétuel ? Au moins suis-je exempt des excès de la nostalgie imbécile survalorisant sans mémoire réelle ce qu’on choisit dans le passé. Un passé impossible rendant le présent invivable.

Quel est le blème alors Laurent ? Probablement l’invisibilité vécue comme une inefficacité à peser sur l’évolution collective : je me sens sous-employé. En effet, faisant partie des invisibles de nos sociétés, je n’existe pas. Mais ai-je fait quoi que ce soit pour exister médiatiquement ? Ai-je ciré des bottes et pris des cartes pour obtenir des postes ? Certes, non. Donc, je n’ai nullement à me plaindre. J’obtiens ce que j’ai cherché et évite ce que j’ai fui.

D’autant qu’on peut observer, par contraste, la cruauté peu enviable vis à vis de superpuissants s’écroulant dans l’anonymat ou l’opprobre. Parallèlement, des personnages comme Tristan Tzara ou Guy Debord, étaient dans une semi-confidentialité et ont connu ensuite –pour un milieu intellectuel—une gloire parfois excessive (dans le cas de Debord), car touchant presque au fétichisme, à la religiosité.

Roland Topor, à l’intelligence surnuméraire, généreux d’esprit et de conduite, disait de ses livres invendus, soldés pour presque rien, qu’ils trouvaient leur vrai public. Elégance du rire foutraque face à la bêtise, malgré les pincements de la tristesse.

Alors, panique à bord ? Stop. Faut sauter par les hublots ? All is black ?

N’y aurait-il pas là un peu de coquetterie intellectuelle, Mister Gerv ? Une manœuvre afin de susciter des compliments ?

Bon, donc crachons-le, quand on a réfléchi sous diverses formes à notre monde en transformations, soit sous l’angle scientifique (histoire des images), soit sous l’angle philosophique (philosophie de la relativité) ou politique (SEE/socio-ecolo-evolutionists) et littéraire (L’homme planétaire) ou cinématographique (« cinema espresso »), on peut raisonnablement s’estimer satisfait. D’autant que mes presciences des années 1970 sont plus que confirmées maintenant au XXIe siècle.

Mais combien de fois me suis-je senti seul à voir ce que je voyais ? Comme si tout l’enrobage social et médiatique obscurcissait complètement la vision de mes contemporains. Comme si j’étais le dernier des Mohicans à considérer, par exemple, le service public télévisé dévoyé, le savoir éliminé des modèles sociaux, les consommateurs totalement passifs face au fonctionnement des entreprises, nos identités imbriquées et nos histoires stratifiées ou l’écologie comme d’abord un impératif social (car la pollution, les catastrophes ou la malbouffe touchent en premier lieu les plus pauvres).

Cela importe peu : j’ai pris date et ce travail souterrain ressortira à un moment ou un autre. Ressortira-t-il ? Les dangers de notre époque sont doubles : immersion et récupération. L’immersion constitue l’aspect probablement le plus grave. La quantité de sons, d’images ou de textes produits est telle que forcément des choses remarquables peuvent se faire sans qu’il n’y ait plus aucun rattrapage, d’autant moins que les supports numériques signifient aussi danger de disparition totale. Le bon grain et l’ivraie se mêlent quand la déqualification généralisée règne et que des « people » présentent ce qu’ils n’ont ni écrit ni conçu.

La récupération, elle, est une manie déjà dénoncée par Guy Debord. A son époque, elle se pratiquait généralement en citant les sources. Désormais, au temps des thèses copiées-collées ou inventées, au temps de la baisse du niveau culturel des médiateurs et des politiques –d’où d’ailleurs leur haine des savants considérés comme des « emmerdeurs »--, au temps où les plus brillantes ou brillants sont moqués en classe, la récupération devient un exercice habituel et mafieux. Personne ne cite plus la source première, jamais, ni la référence, et des olibrius se précipitent en pleine lumière pour hurler sans vergogne (il faut hurler sur les plateaux de télévision désormais –probablement pour réveiller les maisons de retraite) les idées des autres, tandis que des pionniers courageux ont passé leur temps à entendre qu’ils n’entraient dans aucune catégorie, que cela n’intéressait aucun public, qu’il n’existait pas de rayon pour présenter cela. Ensuite, les voleurs se gobergent et se constituent ainsi une image de marque en petits cambrioleurs du lumpenproletariat de l’intellect, ces crétins modestes qui ont le tort de faire un travail de fond dans l’ombre, les rats peureux de la pensée, faméliques parfois.

Coucou à mes amies et amis des galeries souterraines…

De surcroît, ma génération est celle des sacrifiés : passés de crise en crise, arrivée après celle du « baby boom » qui a tout eu, du développement économique et de la longévité, il nous fut asséné d’attendre des conditions meilleures. Nous avons attendu et les conditions sont pires, au temps où les techniciens de l’économie et du marketing dictent leur loi : le triomphe des plombiers sur les architectes. Cela a commencé avec Giscard d’Estaing. Le politique est revenu au pouvoir avec Mitterrand au début mais ensuite les techniciens n’ont plus lâché prise entre un Mitterrand malade, un Chirac ne sachant pas quoi faire du pouvoir et un Sarkozy courant dans tous les sens après les sondages, plus mauvais communiquant au monde à force de vouloir communiquer, zébulon illisible répulsif agissant en commando contre même l’appareil d’Etat vu comme hostile. Alors, pour nous, qui voulons simplement que l’argent public soit bien employé et qui avons une connaissance certaine des moyens à mettre en œuvre, arrive la marginalisation.

J’ai heureusement réussi, avec mes activités autour de l’écologie culturelle, à ouvrir un territoire passionnant et à ne pas être honteusement sous-employé comme nombre de mes collègues (qui souvent foncent vers une retraite anticipée). Mais que de « cadavres » autour de moi, que de gâchis humains et matériels et que d’amour nous devons avoir pour ce pays à y être resté au détriment de nos finances et de notre prestige (ce pays est incapable d’exporter ses savoirs et ses créateurs).

Bon, sachons raison garder. Même si cela ne m’a absolument rien rapporté, car je suis arrivé au temps de l’écroulement du livre et que je n’ai généralement pas eu le support des grands éditeurs, j’ai la présomption de penser que mon long travail de fond, lu juste par quelques-uns, finira par atteindre une certaine lumière. Hasardons-nous dans un élan présomptueux : même une lumière internationale, car ma réflexion fut toujours locale-globale.

Bon. D’accord, continuons à nous rassurer. Pour éviter la corde ou les pilules à cause du sentiment d’inutilité et de vanité absolue, je sais avoir autour de moi et même dans mon univers professionnel des personnes qui m’aiment et que j’aime profondément. Il arrive d’ailleurs que des débordements commencent avec des « fans » que je calme assez vite en leur expliquant l’aspect sympathique mais déplacé de la démarche. Etre libre, c’est aussi déplaire.

Finalement le terrain vague où je suis arrivé, au pays des diplômes et des étiquettes à vie, peut être, à y regarder bien, un beau pays. Ce n’est pas un enclos, une prison, mais un terrain d’expérimentations et d’explorations. Rester curieux. Fureter.

Alors Gervereau, de quoi te plains-tu ? Je peste surtout contre la cécité collective. Elle est probablement due à la période de transition que nous vivons. La concentration médiatique liée à une oligarchie qui passe en boucle, dans un contexte de surproduction généralisée noyant tout, n’est pas encore compensée par une vraie démocratisation des sources, par cette apparition nécessaire d’autres regards. Des X ou Y (genre savonnettes marketing nommées BHL ou Max Gallo) écrivent n’importe quoi n’importe où, quand on passe encore son temps à alerter par des articles ou des images –en vain. Ce n’est jamais son tour. Et quand on parle, cela n’intéresse personne.

En 1992, par exemple, tout le monde se foutait de la guerre d’Algérie (mon expo avec Benjamin Stora et Jean-Pierre Rioux fut un bide). En 2004, tout le monde se surexcitait autour de la guerre d’Algérie (et avec Benjamin, nous avions un éditeur en faillite incapable de fournir les livres au vernissage…)

Bref, nous ne sommes vraiment pas passés de la société du spectacle aux sociétés des spectateurs-acteurs, lançant des canaux différents pour des choix différents, permettant au public de comprendre la relativité, le comparatisme, les emballements et les rumeurs.

Je dois être un impatient.

Et probablement mourrai insatisfait de ce que je n’aurai pas encore réalisé. Ou gâteux bavant piqué.


P.S. Si je survis, ce texte me servira à ne pas oublier mes rages et mes espoirs, tout en portant témoignage de nos temps confus et piégeux.

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