24 : 04 : 10

é - pa - nou - i

Déjeunant frugalement avec un ami sagace qui ne m'avait point aperçu depuis longtemps --qui a un "oeil" de surcroît, un photographe-- je me suis entendu dire à plusieurs reprises une sentence dont je ne suis toujours pas remis : je te trouve  é - pa - nou - i . Pas épanoui, bêtement et sec, court et définitif, non : é - pa - nou - i.
 
J'avoue que cela rassure et fait plaisir, alors qu'on se sent très fatigué, de paraître heureux dans le regard d'un autre. Avais-je le sourire bonhomme et mécanique du dépressif juste avant de se flinguer ? Nenni : é - pa - nou - i , vous dis-je.
 
Pourtant, je reste un naïf pragmatique, refusant la combinazione. De plus, imaginez-vous que, depuis l'enfance, l'injustice m'est insupportable et me mets dans des colères épileptiques. Alors, vous imaginez le décalage avec la société qui m'entoure... Petit à petit, j'ai appris le mépris. L'indifférence pour les cloportes m'est venue en voyageant loin. Alors : é - pa - nou - i .
 
Tiens, un certain Bertrand Tillier découvre que des artistes de gauche pouvaient faire des dessins antisémites pendant l'affaire Dreyfus. Naturellement, il ne cite aucunement mes travaux sur le dessin de presse (ni d'ailleurs ceux sur l'art de son collègue d'université Philippe Dagen). Tillier, vous ne le connaissez probablement pas. Il n'est ni pire ni meilleur que d'autres (et réalise des textes plutôt sérieux, même s'ils peuvent sembler parfois trop anachroniques, liés à notre actualité d'aujourd'hui, pour vendre ses thèses). Son exemple illustre cependant la dérive actuelle du travail scientifique vers l'aimant médiatique.

L'oubli, l'inculture et le manque de scrupules développent en effet une vague de petites frappes prêtes à tout. Déjà nos "nouveaux philosophes" sentaient le racorni marketing en découvrant les méfaits du communisme d'Etat à la fin des années soixante-dix. Maintenant, c'est la foire d'empoigne pour des récupérations tous azimuts. Bon, ils en seront encore à ramasser nos crottes, que nous seront loin... Eéé - pa - nou - iiiiii.
 
Me voilà à Dijon. Temps radieux. Je m'octroie une des rares terrasses farniente de l'année. Place centrale, blanche sur ciel bleu, face à la mairie. Quelques copeaux de lomo, bien peu bourguignons, mais bons. Et puis un essaim apparaît à gauche tandis que personne ne bouge. Un gros essaim avec des bourdons à caméra et des perches à micro, façon bataille de San Romano. Une Reine se déplace entraînant toute la troupe énervée, affairée, bruissante, électrique. Et stengin monstrueux avance. D'un seul coup, ne vlati pas qu'il fonce vers notre groupe de tables. Je frémis, prêt à gicler, m'enfuir pour échapper à la mêlée.
 
Mais ouf, la Reine, longue, filiforme, bronzée, dents blanches et sourire scotché, brushing et laque, sort de la meute qui se dispose en haie et mitraille. Mitraille rien. La Reine n'a rien à dire. Elle parade, fait semblant de serrer les paluches de copains inconnus 2 secondes avant, bise des femmes anonymes comme de vieilles tantes. Et ça prend des images. Des images de rien. Puis l'essaim part dans le brouhaha vers une rue à droite.
 
On me glisse qu'un certain Villepin est en campagne électorale. Eé - pa - nou - iiiii. Je crois que je vais me taper une andouillette aux graines de moutarde. Eé - pa - nou - iiiiii.
 
Voilà. Encore une erreur de casting. Où sont les déchets ?

Ce faisant, s'inaugurait à Dijon une très grande manifestation culturelle titrée "Tout garder ? Tout jeter ? Et réinventer ?". Elle met en réseau d'avril à septembre quelque 100 événements différents dans la ville sur ce thème fondamental quant à l'avenir de nos sociétés. Je lançais avec Othello Vilgard le film Où sont les déchets ? tourné en Inde, un long poème entre rêve et cauchemar du "cinéma espresso".
 
Epanoui ? En tout cas dégagé, sachant ce qui est accompli, s'occupant de l'essentiel. L'heure est au tri sélectif , parmi les personnes, parmi les événements. Profitant de tout, ne se satisfaisant de rien.

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21 : 04 : 10

La mode du disparate

Le collage, le ready made, le cut up, le détournement furent assurément des caractéristiques majeures du XXe siècle. Une forme d’insolence face aux produits industriels que Picasso et Braque utilisèrent tôt dans le cubisme. D’une façon nonchalante, le groupe de Bloomsbury sut user du dépareillé, de la récupération, entre brocante et réinvention. Voilà ce qui hante nos temps.

Non pas, comme on l’a cru à tord, un post-modernisme, car le modernisme contenait en lui-même son auto-dérision entre Dada et pop-art. Ni même une vague de compilations nostalgiques (parfois vomitivement kitsch comme celles du décorateur Jacques Garcia). Mais une forme de concordance des temps et des civilisations. Au moment où le portable hante les steppes et les savanes, le tissu dogon se propage, même fabriqué en Chine.

L’interpénétration devient patente, tandis que le « second hand » ou third, ou fourth… permet de recycler. La consommation à outrance d’un « nouveau » pas si nouveau arrive à son terme. Nous pénétrons le temps du choix, qui peut être aussi celui du mouvement et du caprice.

Chacune et chacun diversifie la diversité. Voilà vraiment notre ère rétro-futuro et locale-globale, où nous allons pouvoir nous déterminer et évoluer. Plus que jamais "pluro-futuro". Amusons-nous. La mort arrivera assez vite.

Il fait bô...

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21 : 04 : 10

Les vertus de l'ingratitude

Depuis plus de dix ans, j’aurais dû quitter le pays où je suis né. Donner des cours dans les universités américaines, par exemple, là où j’ai fait des conférences, ou me laisser tenter par les sirènes du Brésil, pays que j’apprécie tant et où j’ai monté un congrès mondial de musées en 2004. Mais, autant mes voyages sur tous les continents ont construit ma pensée, autant je suis malheureusement un casanier affectif.

 

De plus, étant peu courtisan et ayant toujours privilégié l’indépendance d’esprit, je l’ai payé cher –au sens propre. Mes amis me parlent --pas plus tard qu’hier-- de quarantenaires médiocres occupant des postes à 5000 euros par mois et j’hallucine. J’ai passé ma vie à travailler gratuitement, à aider bénévolement, à publier pour ne strictement rien toucher comme argent. Je rembourse désormais avec difficulté un prêt immobilier dans une ville (Paris) où la vie quotidienne est très chère. Bon, on ne va pas pleurer dans les chaumines, quand d’autres basculent dans la clochardisation. Mais c’est injuste et usant.

 

La formidable chance de tout cela est que cette situation me laisse totalement libre. Libre vis-à-vis de celles et ceux qui se trompent depuis 40 ans, virevoltent au gré des modes et nous rabâchent quelques idées marketing, pour garder le pouvoir et l’argent. Totalement libre politiquement, n’ayant jamais eu aucune carte et même indemne des médailles dont on vous plastronne à peine la sénilité arrive. De surcroît, n’émargeant à aucun média, je puis rester parfaitement indépendant dans mes analyses, sans entrer dans ces jeux pervers de haines-copinages qui n’ont jamais le fond comme mobile. Enfin, j’ai réussi à choisir les étapes de mon parcours : histoire contemporaine, cinéma, écologie. Et chacune fut une vraie immersion, permettant de bouger les lignes.

 

C’est bien sûr l’inverse de la technique actuelle : les pragmatiques adeptes du saut de puce professionnel et de l’imperméable (tout me glisse dessus, je me fous de là où je suis et de celles et ceux qui m’entourent, je m’occupe seulement de limiter les risques et de rebondir plus loin). C’est la nouvelle stratégie du TPMP : tout pour ma pomme. Idées, souci social, œuvre, aucun intérêt : ma carrière et mon confort. Les crises nivèlent et forment des esclaves dociles. Très français. On administre.

 

Je suis et resterai à l’inverse de tout cela. Il m’a fallu attendre et souffrir longtemps pour comprendre mon inadéquation avec l’époque. Désormais, mes proches n’en voient que des avantages : cette façon de penser différente, en prise avec le monde, ouverte, intéresse et correspond parfaitement aux sociétés de spectateurs-acteurs se développant sur notre planète multipolaire. La philosophie de la relativité, les humains pluriels, l’écologie critique, le dialogue micro-macro, sont des pensées du futur qui se construit : pluro-futuro. Mes 5 longs-métrages posent des questions actuelles dans des formes variées. Ce site Internet, les livres qui vont sortir avec ceux en ligne, constituent des façons de voir différentes du martèlement mainstream.

 

Oui, nous, les sidestreams, émergeons. Respirons. Et beaucoup nous envient. Des échos parviennent du monde entier. Les faits confirment les pressentiments. Alors, il va falloir, si je dure encore un peu, résister à un nouveau péril : la récupération. Beaucoup vont m’apprécier tout soudainement. Là où j’ai été rejeté, on m’accueillera. Postes et honneurs peuvent advenir,  comme des hochets dangereux. Les idées seront volées sans vergogne.

 

Ainsi, en pataphysicien et en ami de Roland Topor, je rirai. L’ingratitude m’aura contraint à toujours innover, inventer, passer par des chemins de traverse. Cela fut commun aux temps passés. Cela est probablement encore plus en adéquation avec les temps à venir.

 

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20 : 04 : 10

Parlons économie

J’ai toujours pensé que l’économie n’était pas une science, mais un territoire à l’intersection de beaucoup d’autres. Pendant longtemps, les communistes m’expliquaient que l’économie dépendait purement et simplement de la politique. Puis, après la chute du mur de Berlin, ce fut le triomphe des économistes, gourous du laisser-faire. Désormais, je crois qu’il nous faut apprendre à passer les frontières, à comprendre la porosité. L’économie est du laisser-faire mais aussi de la politique, mais aussi de la psychologie sociale…

 

Cela fait longtemps que je déteste pareillement l’idée d’une croissance aveugle toujours plus injuste et destructrice de l’environnement d’un côté, et de l’autre celle d’une décroissance, d’un apauvrissement généralisé. Cela ne tient nullement compte des histoires, des pensées, des cultures. L’idée de croissance est celle d’une évolution, mais elle correspond à des évolutions différentes. Car le retour au local suppose des modes de vie différents suivant les quartiers de la ville, la ville et la campagne, New York et chez les Wayanas. Nous avons besoin de croissances diversifiées.

 

Même chose en ce qui concerne les entreprises. Certains les laissent se développer au profit quasi exclusif des propriétaires-actionnaires. D’autres voudraient qu’elles soient des administrations sans profit. Nous pouvons songer à des entreprises éthiques, qui font un profit redistribué en partie et réinvesti, avec des buts commerciaux choisis concernant le développement durable local et mondial. La puissance des consommateurs est, à cet égard, considérable. Elle concerne tant des micro-entreprises d’une seule personne que d’autres installées sur tous les continents. Elle concerne aussi le rôle de banques qui, ne l’oublions pas, sont nées pour certaines du mutualisme et de l’esprit coopératif.

 

Et que dire de la notion de travail ? « Ne travaillez jamais » écrivait Guy Debord sur les murs du Paris des années cinquante. Ce n’était pas le slogan d’un rentier paresseux, pour quelqu’un qui a beaucoup travaillé à faire ses revues, mais la contestation de la notion de travail. Dans les entreprises ou administrations éthiques (redevables à la collectivité, efficaces, supposant même le don gratuit pour la cité), il faut donner la possibilité de réaliser, supprimer les tâches uniquement pénibles et les rémunérer à mesure de leur pénibilité, permettre la dignité et l’épanouissement de l’individu. La frontière travail-loisir doit s’estomper, quand elle n’a pas trop de sens dans les forêts du Laos et que l’allongement de la durée de vie fait reconsidérer la barrière activité-retraite. Chacune et chacun se construit et apporte une contribution sociale, en fonction de ses goûts et de ses capacités, par des biais différents.

 

Ainsi, nous ne sommes ni actifs ou inactifs, ni jeunes, ni vieux, ni au travail ou en retraite, mais vivants ou morts, dans la société, pour bouger cette société, ou gravement malades. L’économie est une conception du monde. Abolissons les frontières !

 

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20 : 04 : 10

Je prends date...

Au temps des médias de masse, les conversations de café du Commerce sont proférées par des spécialistes-alibis, philosophes, sociologues, psys en tous genres. C’est pratique parce que n’importe qui s’affuble ainsi de ces titres. Et les journalistes comprennent, cela les rassure.

 

Dans les années 1970 (il en reste des séquelles) la mode était plutôt à la dissimulation par l’abscons. Moins on pigeait, plus c’était profond. Autre excès.

 

Il est difficile de se mouvoir dans ce marasme. J’ai plutôt choisi de faire simple et concis, mais sans rien céder –je l’espère—d’une exigence de pensée qui perturbe.

 

Vous le savez : il ne faut pas avoir trop d’idées. Il faut les labourer en délayant, en additionnant les citations-alibis qui font chic, à la cour de ses pairs, dans l’emphase du kougelhof gonflé, le millier de pages sérielles d’un même développement : au poids, ça compte. Répéter dans la caricature de soi-même, comme en France un Jean-Pierre Coffe, bon client multi-écrans pourfendeur de la bouffe merdique. Quel combat courageux…

 

Et pourtant il y a des phénomènes de société insupportables, qui seront sûrement jugés insensés dans l’avenir. Mais dont il convient de ne pas parler : incroyable cécité contemporaine, omerta bienséante. Faisons court. D’abord, observons toutes celles et tous ceux qui s’avancent parfois masqués et utilisent l’histoire et le communautarisme pour défendre leurs intérêts directs. La perversion est poussée loin quand il s’agit d’user de la repentance envers des personnes totalement innocentes des crimes du passé.

 

Jamais je n’utiliserai, par exemple, les persécutions subies sous Louis XIV par la partie protestante de ma famille. De quel droit ? C’est à chacun de prouver ici et maintenant ses vertus. Et il importe surtout de regarder désormais vers le futur pour construire autrement, car ce torticolis perpétuel n’a jamais rien réparé, souvent instrumentalisé les faits, et paralyse l’action pour avancer.

 

L’autre question délicate concerne les droits de l’homme. J’ai plusieurs fois rencontré quelqu’un comme Robert Badinter, que je respecte infiniment. Mais il faudra probablement intégrer le fait que des pensées et des conceptions du monde différentes se confrontent sur la planète. Ce n’est certes pas la raison, à l’inverse, pour défendre des comportements semblant indéfendables (comme l’excision), au nom de « coutumes ». Mais cela posera la question d’une base morale commune et de variantes, de possibilités de varier les variantes d’ailleurs, sans poser en diktat les « avancées » européennes. Pas des droits (et devoirs ?) de l’homme, mais un « Pacte des humains », un Pacte terrien, pouvant évoluer.

 

La relativité est aussi un échange des valeurs.

 

 

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17 : 04 : 10

Rumeur de nuage

Nous, Européens, vivons en avril 2010 le passage d'un monstre noir totalement invisible. Un deuil transparent de cendres diaboliques. J'étais à Berlin sous un soleil intense et un ciel transparent : tous les aéroports fermés. Après m'être fait arnaquer par les hôtels surbookés montant les prix sans complexe, j'ai traversé à prix d'or, dans des trains bondés avec mult changements, une Allemagne radieuse et agricole.

Paris resplendit aussi, tandis que les aéroports sont fermés pour trois jours. Tout le monde est calme. Pourtant, les gares explosent avec une grève parfaitement opportune de la SNCF (j'en viens).

Très étrange. Soit le danger est encore plus grand et nous sommes couverts de radioactivité. Soit cela se passe tellement haut que la poussière est diffuse et totalement invisible. Soit le principe de précaution a encore frappé et certains ont des intérêts cachés à cette fumisterie. Mais c'est pas clair. Pas clair du tout ce nuage invisible, cette rumeur de nuage virtuel.

Peut-être nous faudrait-il une émission de Fred et Jamy pour l'expliquer. Moi qui grogne et tempête contre mes amours télévisuelles définitivement déçues par le cloaque ambiant, j'ai été scotché par la dignité, la variété, la qualité d'un regard sur les Pygmées à 20h30 sur France 3. Sur le tas de boue, un crocus fleurit...

Pendant ce temps, à peine avais-je le dos tourné, que Michel Onfray assassine Sigmund Freud. Je ne l'avais pas attendu pour dénoncer l'aspect d'immonde secte que recouvrent souvent ces activités, devenues des flics de la normalité (psys en crèches et "cellules psychologiques"). J'exècre ces business de la douleur jouant sur la perte des repères et le malaise des sociétés occidentales. Cela dit, c'est plutôt le côté onéreux et placébo qui m'horripile, jargonneux aussi. Les fous qui m'entourent n'ont jamais guéri de rien. Moi non plus d'ailleurs, heureusement.

Alors, que Freud ait eu beaucoup de défauts, à vrai dire on s'en fout un peu. Les penseuses, les penseurs n'ont pas de certificat de sympathie à nous donner. Reconnaissons seulement qu'il a eu quelques presciences fortes, même à partir d'obsessions personnelles. La question est de savoir l'usage qui en est fait.

Personnellement, je ne pense pas qu'enfermer les individus dans des maladies toujours plus nombreuses soit, ni curatif, ni émancipateur. Cela en fait des esclaves dociles. A cela, il faut opposer un message de connaissance, de culture, de choix, de responsabilité, d'ouverture, de volonté et d'action. Tout le contraire de la plainte perpétuelle. Etre pluro-futuro, c'est cela.

Quand le typhon souffle la porte, on reconstruit la porte.

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11 : 04 : 10

Un pas de côté / Vu d'ailleurs

Profitons du beau temps sur Paris pour tâcher de regarder autrement, couché dans l'herbe.

Notre pays s'occupe sans s'occuper (c'est l'art de la prétérition médiatique : je ne parle pas de ceci, tout en en parlant pour dire que je n'en parle pas) d'une rumeur sur le couple présidentiel. Bon, n'y aurait-il pas intérêt du côté de l'Elysée, après une cuisante défaite électorale, à marteler le terrain avec n'importe quoi d'autre moins dangereux ? 

Nicolas Sarkozy a très bien compris qu'il fallait vendre des nouvelles chaque jour (le news market), donc qu'il valait mieux "inventer l'actualité" (titre d'un de mes livres) plutôt que de subir les inventions des autres. Mais le péril est alors de tirer dans tous les sens en rendant son image totalement incompréhensible. Dans le retour du verbe en politique, nous avons peut-être un Obama de retard...

Autre pas de côté. Vous savez que sur écran il existe autre chose que le Net, cela se nomme "télévision" et passe en boucle dans les maisons de retraite avec un animateur dédié et enbaumé nommé Michel Drucker, qui a d'ailleurs placé sa famille dans la boite publique et invite des morts (par exemple, un certain Claude François, qu'heureusement personne ne connaît à Londres ou à Berlin).

Il parait qu'une des chaînes (France 5) de cette "télévision" publique (avec l'argent d'une redevance très inégalitaire) fut créée pour être éducative. Elle n'a jamais permis à aucun scientifique dans aucun domaine d'inventer la moindre émission. C'est désormais le lieu de pâture des journalistes radio qui s'essaient à la télévision et des vieux journalistes de télévision en manque de caméra (un certain PPDA).

Mais, dans un pays où l'hypocrisie règne (avant des révolutions passagères), qui s'en soucie ? Ainsi, sur France 3, les petits vieux des médias discutant entre eux depuis trente ans, se sont retrouvés chez Frédéric Taddéi pour dire combien ils sont déontologiques. Taddéi leur a salutairement lancé en cours d'émission un plus jeune opérant sur le Net. Il n'a pas pu proférer 3 mots sans que des multicartes terrorisés à l'idée de perdre leur pouvoir (car, depuis longtemps, il n'est plus question d'idées ou de goûts) l'aient assassiné : vade retro Netanas !

Ce n'est pourtant pas grâce à la stratégie du bunker assiégé que ces assistés de l'Etat et vendus aux marques vont pouvoir défendre leur nécessité. D'autant que la question essentielle n'est nullement de tuer les médias intermédiaires mais, grâce à la diversification et à la multiplication des sources, de changer leur rôle et leurs méthodes. Dans ce contexte, aboyer qu'Internet n'est qu'une boite à rumeurs, alors que souvent elles sont arrêtées par les internautes eux-mêmes, est un peu court.

Un exemple concret récent des nouvelles pratiques nécessaires. Sur les côtes françaises, il y eut un petit débordement de mer (le Chili pâtissait au même moment bien davantage). Acceptons que la proximité justifie de surcouvrir l'événement. Le courage dans l'analyse aurait dû cependant permettre d'entendre, parmi les bêlements, que dire à ces populations sinistrées le caractère "inadmissible" de la catastrophe est leur mentir. L'Etat n'est pas, ne sera pas une assurance tous risques abolissant les accidents. Il doit apporter des règles et des évaluations de risques. A chacune et chacun de prendre ses responsabilités. Philosophiquement, le fatalisme dynamique qui existe tant en Afrique qu'en Asie (regardez la situation du Japon) peut-il être écouté ? Je persisterai jusqu'à être relayé, en tout cas. Au nom de quelle suffisance en effet ce qui est en ligne (analyses, livres, photos, films...) a-t-il moins de valeur intrinsèque que ce qui "paraît" sur papier, hors petits gags ?

Deuxièmement, le vrai travail journalistique aujourd'hui, le vrai décryptage dont nous avons besoin, n'est pas de faire hurler les populations aux maisons rasées (pour des procès lucratifs, n'est-ce pas Madame super-écologiste Corinne Lepage ?), mais d'enquêter sur la nature des autorisations de construction, les pressions des propriétaires, les intérêts directs des élus. Voilà ce dont nous avons besoin : du vrai courage pour des idées diversifiées et un vrai travail de fond sur la nature des "événements".

Allez, il est temps de me détendre. Je me sens un peu crispé. Pfffffffffff......

Je me retourne dans l'herbe et regarde le ciel.

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05 : 04 : 10

Mainstream ou Sidestreams ?

Le lancement bruyant du livre de Frédéric Martel correspond à son sujet : mainstream ne peut qu’intéresser les médias mainstream. Même si cela peut choquer, pour avoir aussi beaucoup circulé dans le monde, je partage son constat et son analyse. Je lui reproche juste de ne pas les avoir inscrits dans une réflexion plus large concernant ce que j’ai qualifié dans un ouvrage de Guerre mondiale médiatique. Trois remarques à cet égard.

La Guerre mondiale médiatique à l’œuvre aujourd’hui est la continuité des grands moments de la propagande mondialisée commencée avec la Première Guerre mondiale. Elle y ajoute un aspect instantané et global : des milliards d’individus la subissent dans un monde où le portable court désormais dans les forêts les plus lointaines, comme les succédanés cheap de la consommation mainstream. Elle mélange en effet les questions idéologiques, commerciales ou culturelles. La science, elle-même, est constamment instrumentalisée. Les rumeurs sont légion. Barack Obama est venu redresser l’image déplorable des USA, terriblement négative pour les exportations industrielles. Il est un VRP, comme des scientifiques payés sont des alibis politiques ou de marketing produits. Plus de frontières de genres.

Martel ne traite (bien) qu’un des aspects de l’enjeu. Il n’en donne pas non plus vraiment l’historique. J’ai montré dans l’Histoire du visuel au XXe siècle que 1914-18 avait été le moment de la construction d’une industrie du cinéma de masse où la côte ouest (Hollywood) remplaçait Paris comme centre. C'est la deuxième phase de diffusion planétaire des images industrielles (après l'ère du papier, commencée au milieu du XIXe siècle). Serge Guilbaut, lui, a démontré pour l'après Deuxième Guerre mondiale que, en pleine guerre froide naissante, les services américains promouvaient toute leur culture (même des artistes de gauche) pour imposer le modèle de l’American Way of Life. Sur un aspect plus limité mais significatif, je me suis attaché à souligner que les films de science-fiction transformaient les Soviétiques en Martiens dans une propagande déguisée, métaphorique. Désormais, chaque pays émergent commence à comprendre que sa puissance politique et commerciale dépend aussi de sa puissance dans la construction des imaginaires de masse.

Troisième point, la diversité des fonctions à remplir. Dans le journal Le Monde du 14 janvier 2008, j'insistais sur les missions d’un Ministère de la Culture. A côté de la question du patrimoine (du choix du patrimoine, des regroupements patrimoniaux, de la conservation), deux aspects s'imposent : l’industrie culturelle et la défense de la diversité. Les deux sont d’importance égale et il faudrait vraiment réfléchir dans ces termes. La culture fait image et l’image extérieure d’un pays est essentielle pour l’ensemble de son économie. Un Président de la République devrait avoir comme premier souci cette question d’image nationale. Elle dépasse culture, affaires étrangères ou industrie, en les englobant. Voilà un des grands mérites du livre de Frédéric Martel : enfin oser insister sur l'aspect économique et sur le fait de faire image.

C'est pourquoi les pratiques doivent changer avec une vraie réflexion sur les fonctions des organismes culturels. Il n’y a pas de honte, par exemple, dans un grand établissement public, à faire de l’argent, et aider à réaliser des produits mainstream, intervenir dans une culture globale qui reste un lien entre les continents et où nous pouvons montrer des lieux, des valeurs, des mythes. Le Japon est à cet égard un pays très fermé, très soudé autour de traditions polythéistes, qui produit des images pour le monde entier, absolument hybrides.

L’expansion de telles industries permet parallèlement de défendre les sidestreams, ce que nous faisons ici, de la couture fine pour des publics exigeants. Blogs, webtv, cinema espresso, art numérique, news en ligne… Diversifier la diversité reste en effet le contrepoint nécessaire au développement de produits de masse intelligents. Son facteur d’équilibre, le seul moyen de conserver une part d’exploration à côté de réflexes comportementaux.

Martel a donc le mérite de détailler des enjeux réels trop souvent méprisés. Il a raison de compléter en ligne ses références (chose que je n'ai pu faire avec de lourds travaux statistiques coupés par les éditeurs), même si elles sont très anglo-saxonnes (le complexe franchouillard où il n'est de vérité que d'outre-atlantique, fût-ce par des Français parlant d'ailleurs). Il devrait surtout restituer ces réalités dans un contexte plus général (la Guerre mondiale médiatique), en rappeler les origines historiques et mettre en évidence l’autre terme du balancier : l’émergence des sociétés de spectateurs-acteurs, apte à rééquilibrer la consommation de masse.

post-scriptum : j'ajoute à ce commentaire sur un travail intéressant dans son propos et argumenté, que le contraste de l'actualité nous offre l'inverse en pâture : la guignolade d'un ballon baudruche Generali. Je ne suis pas à même de juger l'intérêt scientifique des mesures de cet Etienne au dessus du Pôle, mais me doute qu'il est inutile de faire un tel cirque pour alerter sur les questions climatiques. Ce sponsorisé chronique (par Total précédemment) intervient pour ne rien dire en direct de radios et télévisions. Cela suffit. On a déjà un malade de la photo en hélico... Laissons-le dériver et regardons ailleurs.

Dans nos temps de confusion nivelante, j'appellerais cela pollution scientifique, comme la récupération musicale par la publicité doit être qualifiée de viol artistique. L'inverse du détournement.

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05 : 04 : 10

Celui qui choisit

A tout bout de champ, il faut se qualifier, se définir. C’est insupportable quel que soit l’âge. Dès l’enfance, catalogué par sa famille et celles des autres. A l’adolescence, étiqueté en fonction de son physique, de son habillement. Un bras trop court, des grandes oreilles, voûté, ne sachant pas danser, timide et rougissant ou partant dans une réponse avec une voix de fausset, se répétant des heures après ce qu’on aurait dû dire… Et puis les gravures de mode, mecs ou nanas, qui ont le geste qu’il faut en poussant la mèche, qui grattent la guitare avec délicatesse, que le jean ne boudine pas parce qu’ils ont les hanches pas trop larges… J’ai haï mon adolescence, comme beaucoup de filles et tant de garçons qui se sentent hors normes, avec en plus des adultes vous traitant de « godiches » pour arranger les choses. L’âge de la bêtise est éternel. Sidéral et spatio-temporel parfois.

Et que dire de l’âge adulte ? Vous vivez quelque part. Vous avez une fonction sociale. Vous côtoyez d’autres, affectivement ou pas. Tout est destiné à vous inscrire. Alors, quand on me demande ce que je fais, comment je me définis, ma seule tentation est de répondre : « comique troupier ! ».

La vérité est que j’aimerais –folle ambition—toujours être et rester celui qui choisit. Dès l’enfance, j’avais compris que mes parents me mentaient et que le Père Noël n’existait pas. J’ai choisi de continuer à sembler y croire pour leur faire plaisir. Autour de moi, des personnes estimables avaient des avis totalement divergents. Je n’y ai pas gagné une mentalité d’aquaboniste, d’équivalentriste désabusé ou de bofiste professionnel. Car je me rendais bien compte que les nihilistes ne vivaient pas leur nihilisme. Mais cela m’interrogea.

J’ai alors pris conscience de deux nécessités : la recherche du savoir, l’éducation à tout âge, la curiosité, et la remise en question. Cela permet d’explorer et de refuser l’enfermement dans des comportements pré-fabriqués, quelles qu’en soient les (bonnes ?) intentions. Nos sociétés n’ont de cesse en effet de nous imposer des moeurs « naturelles », des idées-réflexes. Elles cadenassent chacun dans des attitudes collectives souvent aberrantes (la consommation indéfinie et toujours frustrée, la recherche du normal, du moyen, du modèle, la conformité au groupe).

Or il est indispensable de se poser constamment les questions de ses actes personnels et des décisions collectives. Nous subissons, nous partons de pioches successives, d’accidents, de résistances, de pesanteurs, d’horreurs, de faveurs dangereuses, mais avec la possibilité de jouer. Cela impose probablement des changements, des conversions, des doutes, de la volonté, mais comment peut-on fonder une conduite et des convictions autrement ? Il est indéniable que ce que j’ai appelé la relativité –dans l’espace géographique et dans le temps—forme le mécanisme de base des options de choix possibles.

Inventer c’est tout remettre à plat, connaître, changer. Voilà pourquoi la vraie compréhension des diversités par le voyage sensible est si fondamentale. Voilà pourquoi des zones géographiques entières me font frémir quand elles vivent comme des « blocs de pensée » obligatoire, en apparence intangibles. Voila pourquoi le « politically correct », comme les dogmes religieux ou idéologiques, me semble si insupportable.

Autant que le plus pernicieux, qui nous chloroforme dans l’évidence : les modes intellectuelles, ces coups de balancier médiatiques radicaux stigmatisant un temps l’entreprise comme lieu de l’oppression capitaliste pour en faire accepter ensuite tous les crimes éthiques ; marginalisant la question de la volonté planifiée des nazis d’exterminer les juifs d’Europe puis plaçant cela comme seul aspect de la Deuxième Guerre mondiale. Dans pareil ordre d’idées, je lançais en 1992 (avec Benjamin  Stora et Jean-Pierre Rioux) une exposition-bilan sur la guerre d’Algérie dans l’indifférence générale et en 2002 les journalistes me couraient après pour récupérer le catalogue (sans pour autant le citer évidemment).

Mais j’étais déjà ailleurs, heureusement.

J’aimerais donc surtout qu’on se souvienne de moi comme « celui qui a choisi », qui n’a cessé d’essayer de choisir. J’espère même pouvoir choisir jusqu’au bout, garder la lucidité de disparaître avant de devenir la honte de ce que j’ai pu être, le poulpe crapoteux esclavagisant mes proches.

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02 : 04 : 10

Hope or Despair ?

Je devisais hier avec quelques plus jeunes sur un sujet somme toute assez banal et qui doit revenir de génération en génération : faut-il désespérer ? Là, généralement, deux camps s'affrontent radicalement, les optimistes à tout crin et les pessimistes névrotiques.

D'abord, en prenant du recul, il est très difficile de restituer le passé dans toutes ses dimensions, tant notre mémoire est faite de trous chroniques, d'oublis immenses. Cette gaieté que nous voyons maintenant dans les années 1960 et le début des années 1970, il est difficile d'en restituer la part d'ombre. Elle fut pourtant celle d'un ordre moral totalement insupportable dont on ne peut plus avoir idée, qu'aucun jeune d'aujourd'hui ne peut imaginer, touchant à tout : les goûts, les moeurs, les mots. Il existait des mots imprononçables, notamment concernant le sexe (terme banni). L'"underground" était réellement la résistance d'une minorité.

Certes, l'infect "politically correct" tend à dresser de nouvelles barrières, une nouvelle omerta, mais la liberté concernant l'expression politique ou sociétale est sans commune mesure, arrivant d'ailleurs à une nouvelle clandestinité, une nouvelle résistance : l'invisibilité. Nous parlons souvent dans le vide et dans l'invisibilité médiatique totale ou la déformation caricaturale, à partir du moment où nous refusons le "package" de l'image de marque et le marketing.

En terme de vie quotidienne, il est indéniable que je n'ai jamais connu une vie aussi chère et inégalitaire qu'aujourd'hui où tous les produits de la vie quotidienne et les logements sont hors de prix. La prime est donnée aux nantis. Pour ce qui concerne le chômage et l'ascenseur social, ma génération (né en 1956, post-68) n'a vécu qu'avec les crises et les mauvaises nouvelles. Bassinés par les soixante-huitards triomphants et donneurs de leçons, nous sommes arrivés sur le marché du travail à la fin des années 1970 avec, en France, le plan Barre et le dégoût punk. La précarité, nous l'avons vécue immédiatement. Puis nous avons regardé la génération d'avant prendre le fric et les postes, avec la gauche se roulant dans l'entreprise : années Tapie. Le train passa. Il passe toujours.

Aujourd'hui, nous n'avons aucune nostalgie. Je crois --du moins pour ma part-- aucune amertume non plus. Car tout cela ne nous a pas empêché d'oeuvrer, de comprendre les mutations, de s'infiltrer dans toutes les percées de l'époque.

Ainsi, le présent est constamment ce qu'on en fait (nos prédécesseurs, comme Noël Arnaud ou François Caradec, se retrouvant embourbés dans la Deuxième Guerre mondiale, ont eu des choix plus cruciaux à gérer...). Je ne me situe donc pas du tout dans l'optimisme ou le pessimisme, mais dans le pragmatisme. La relativité, c'est cela : prendre en compte les paramètres et agir, trouver la catastrophe normale si elle arrive, et résister. Internet est un moyen de contrôle et un étouffoir cacophonique mais aussi un formidable vecteur d'expressions, de relais communautaires. Vivre autrement, repenser nos réseaux, changer notre conception du monde, voilà ce que le Laos nous apprend et des personnes dans notre quartier. Pensons local en liaisons avec d'autres locaux du monde global. Local to local.

Alors, nous n'entretenons aucun regret d'un âge d'or stupide, aucune rancoeur d'être né au mauvais moment, ni d'ailleurs aucun triomphalisme technologique (robocops du "progrès moderne", au temps du tri rétro-futuro), mais nous saisissons notre époque. Une période, des sociétés, il faut les secouer, il faut les utiliser.

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