Nous
relayons ci-dessous l'Appel pour la défense des savoirs (et des savoir-faire).
Vous pouvez le soutenir en faisant circuler les petits signes fournis par ce
site lorsqu'on clique sur le dessin qui clignote : les envoyer par le Net, en
faire des badges, autocollants, images monumentales, affiches, installations
artistiques ou interventions dans l'espace public... A Saint-Nazaire ou à Hong Kong. Il est temps d'enrichir nos débats trop hexagonaux, de rester dans une logique de transformations, de
rééquilibrer la visibilité sociale et de repenser nos repères et nos valeurs.
Appel
à la Résistance des savoirs
En regardant (en 2012) le sommaire de la nouvelle
émission culturelle de France 2 intitulée « Grand public », nous
pouvons comprendre deux phénomènes lourds actuels qui consistent dans la
déculturation et l’acculturation. Ce sommaire en effet, pour une émission de
deuxième partie de soirée sur le service public, n’annonçait que
des « people » passant en boucle sur toutes les autres chaînes.
La commercialisation de vecteurs liée à leur multiplication en nombre a abouti
à une offre en fait de plus en plus réduite : plus il y a de chaînes, plus
elles se singent. La quantité n’est pas la diversité. Faut-il pour
autant tomber l’aigreur et se replier sur quelques casemates de bien-pensance
où « nous sommes entre nous » ? Sûrement pas.
La dévalorisation, la déqualification touche certes
tous les milieux. Mais la résistance est aussi le fait de tous les milieux.
Voyons d’abord le versant noir de l’affaire. La télévision reste l’emblème de
l’écroulement culturel avec son public captif vieillissant. Le personnel
politique parallèlement affiche des certitudes à mesure que son ignorance
croit, en confondant la notion de populaire avec celle de simpliste (la
génération « vu à la télé »). Les médias se copient les uns les
autres dans une image du public de plus en plus trash et nombriliste. Les
scientifiques se vendent à des firmes ou se mettent à faire du journalisme de
bas étage. Les créateurs se transforment en lobbyistes de PME cherchant à
épater les riches, à devenir des fonctionnaires culturels à vie ou à faire des
produits marketing mainstream.
Et pourtant. Et pourtant, il existe quelques
activistes rares du savoir et de la culture dans les télévisions (pas seulement
sur Arte). Des élus ont un réel intérêt pour la création en marche et une
connaissance ancrée du passé. Des journalistes se battent pour fournir des
repères honnêtes et défendre des réflexions critiques. Des scientifiques
restent à jamais dans l’ombre pour maintenir la rigueur de leurs recherches
malgré le pillage sans citation de leurs collègues ou leur mépris. Des
créateurs de toutes générations continuent dans un quasi anonymat et souvent de
micro-publics leur voie singulière.
Alors, la Résistance des savoirs ne doit pas être
celle d’une corporation contre une autre. Elle traverse les générations, comme
elle traverse les opinions, comme elle traverse les spécialités. La
responsabilité de l’écroulement est collective. L’énergie du redressement doit
être collective. Elle nécessite comme préliminaire de sérier les notions de
déculturation et d’acculturation. Si la notion de culture est cantonnée à la
musique dite « classique » et celle de savoir à la physique et aux
mathématiques, l’affaire est définitivement perdue. « Cultures de tous,
cultures pour tous » constitue le seul axe possible pour la transformation
des points de vue. Cultures de tous, car –sans pour autant les
mélanger—désormais les individus aux identités imbriquées que nous sommes
reçoivent simultanément des jeux vidéos ou la Joconde devenue image. Ouvrir à
ces formes culturelles variées (de la gastronomie à la photographie, de la
musique dite « classique » à la bande dessinée…) n’est pas les
confondre mais affirmer la légitimité et les spécificités de chacune.
« Cultures pour tous » induit d’avoir le
véritable souci d’une diffusion large pour tous les publics. C’est là
qu’intervient la volonté d’un mélange des consommateurs-acteurs. Il importe
pour cela d’abord de sortir d’une vision à la Guy Debord –celle de l’ère
télévisuelle—des spectateurs-consommateurs passifs. Au temps d’Internet,
beaucoup de consommateurs sont également des acteurs, des acteurs de millions
de micro-initiatives, des acteurs d’ailleurs aussi par leurs choix de
consommation, ce qui fait vivre par exemple ces petites scènes dites
alternatives. Ne craignons plus parallèlement la défense de micro-traditions ou
savoir-faire, à partir du moment où la démarche est choisie dans un esprit de
tri rétrofuturo (ce qui est gardé et là où il faut innover). Ce n’est pas du
poujadisme réactionnaire mais la base d’une structure de petits pôles d’excellence
en réseaux.
Ainsi, la mise en valeur dans des plateformes
régionales et nationales (pour un indispensable retour au local),
manière de revivifier la démocratie de proximité, est le seul moyen d’agréger
les énergies et de redonner le sentiment d’avoir prise sur son quotidien. Les
élus –harcelés par les quémandeurs et les lobbys de toute sorte—comme les
technocrates, formés à la dimension macro de l’économie ou de l’administration,
ont peur des citoyens qu’ils ne considèrent que comme source de revendications.
Ce faisant, ils passent à côté des énergies créatrices dans tous les domaines,
des PME à toute cette économie de la gratuité rassemblant les générations.
De surcroît, par un de ces étranges paradoxes, les
applicateurs, les techniciens ont pris le pouvoir --quand bien même ils se
trompent et se contredisent, sans être publiquement décrédibilisés--, alors que
les stratèges (visionnaires politiques, philosophiques, scientifiques) sont
relégués au placard et montrés comme de doux illuminés (quand l’invisibilité
totale n’est pas leur lot). Avec la sondagite et l’électoralisme démagogique
lié au news market, la tactique prime sur la stratégie pour des
objectifs fondés sur des intérêts à courte vue. Les deux catégories sont
pourtant utiles à la société, mais dans un rapport d’autorité inverse : la
stratégie détermine les tactiques.
Dans ce même souci de travail de fond, contre
l’acculturation et la déculturation, il importe bien sûr également d’insister
sur l’éducation à tout âge. Nous ne reviendrons pas sur la boussole éducative,
celle à laquelle chaque société devrait réfléchir. Mais il faut prioritairement
que tout le monde sache identifier ce qu’il voit. Face au maelström
déqualifié du tout et n’importe quoi sur nos écrans, le besoin de repères
devient essentiel. Voilà la tâche primordiale désormais sur ce terrain :
apporter des éléments de compréhension de notre environnement local et global
dans le temps et dans l’espace ; donner de la visibilité aux savants et
aux créateurs. Les médias ont commencé la première tâche, timidement. Mais le
besoin de savoir est immense, d’un savoir critique et d’un savoir puisé auprès
des chercheurs de terrain, pas des vulgarisateurs n’ayant pas ou plus fait de
recherche depuis des années.
Et puis il faut les valoriser, les montrer, qu’ils
redeviennent un modèle social. Pour la France, nous avions Pasteur et Victor
Hugo, stars à la fin du XIXe siècle. Ce n’est pas si mal. Mettons donc en
pleine lumière les Annette Messager et les Michel Pastoureau. Ils ont autant de
mérite que Zidane ou Johnny Halliday, Jean-François Copé et PPDA.
Repères et visibilité. Crédibilité aussi. La science
est expérimentale, critique, évolutive dans ses savoirs, fondée sur la
recherche. Les créations évoluent dans le temps et sont marquées par des modes.
La Résistance des savoirs consiste à pouvoir continuer de mettre en exergue
l’exigence et l’excellence du moment dans tous les domaines, du rap aux
mathématiques. Cela conduit à veiller à l’indépendance politique et commerciale
des chercheurs comme à celle des créateurs, à travers des structures de
référence qui évoluent, pouvant marier spécialistes et béotiens tirés au sort.
Désormais les sciences sont souvent en plein dans les débats sociaux, les
créations ont des incidences multiples sur la vie quotidienne. Il n’est plus
question de les laisser dans des micro-cercles opaques. Il faut ouvrir tout en
permettant l’excellence.
Voilà pourquoi nous appelons à une Résistance des
savoirs (et des savoir-faire). En dehors de l’élaboration de principes moraux
terriens évolutifs acceptés partout –enjeu central pointé dès 2000--, la
seconde grande question à venir sera bien celle de sciences indépendantes et
mises en valeur avec des créations défendant la diversité tant des supports que
des genres et des formes. Un enjeu éducatif, social, politique. C’est ainsi que
nous lutterons partout contre la déculturation d’une société uniforme moyenne
de consommation addictive et l’acculturation d’habitants qui, au nom d’une
prétendue « modernité », sont sommés d’abandonner en bloc leurs
traditions et leurs modes de pensée. La Résistance des savoirs est un éloge de
la diversité et de la liberté.
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