|
|
03 : 02 : 17 |
LE TEMPS DE LA DEQUALIFICATION |
Issu du site decryptimages.net :
L’accumulation planétaire d’images,
texte et sons et leur circulation exponentielle ont plusieurs conséquences
directes. Les plus évidentes sont l’obsolescence généralisée et la déqualification
avec perte de tout repère. D’autant que notre ubiquité constante ne s’est pas
accompagnée d’un effort éducatif à tout âge pour offrir des bases en histoire
du visuel et des méthodes d’analyse. Elle ne s’est pas non plus accompagnée d’efforts
pour multiplier les médias-relais, les médias intermédiaires, géographiques ou thématiques
qui trient et proposent entre les milliards d’expressions individuelles et les
médias minoritaires dans lesquels les mêmes informations très restreintes et
les mêmes personnages tournent en boucle.
Au début des années 2000
(en 2003), dans le cadre des activités de l’Institut des Images, l’un des
ancêtres de ce site (imageduc.net) avait mis en place un Baromètre européen des
médias, premier outil comparatif de mesures statistiques des contenus, dont la
synthèse fut publiée à La Découverte dans Inventer l’actualité. La
construction imaginaire du monde par les médias internationaux. Nous avions
pointé juste. Pourquoi ? Au temps du n’importe quoi et des fameuses « vérités
alternatives » (évoquées récemment sur decryptimages), il apparaît de plus
en plus clairement que les humains se séparent aujourd’hui essentiellement
entre deux visions du monde : une vision figée, d’exclusion, autoritaire
et propagandiste qui n’a rien à faire avec les faits (religieuse ou non d’ailleurs)
et une vision qui conçoit le vivre ensemble comme une défense de la diversité,
biodiversité ou culturodiversité (religieuse ou non).
Dans le cadre de la défense
de la diversité et des libertés publiques –qui est clairement la perspective de
decryptimages.net--, nous ne pouvons alors que soutenir tous les efforts visant
à la mise en place de médias intermédiaires et aussi de mesures des vecteurs d’information.
Ainsi en France, même si l’initiative vient d’un journal (Le Monde) --donc
d’un média partie prenante de l’objet d’étude--, le récent baromètre Décodex (lemonde.fr/verification/)
est une initiative intéressante, qui devrait se multiplier. Nous nous apercevons
en effet tardivement que publicité et propagande ont envahi la guerre mondiale
médiatique à l’œuvre aujourd’hui.
Voilà pourquoi le combat de
la pertinence est devenu prioritaire. Voilà pourquoi la qualification des
images importe davantage que les images elles-mêmes, pour tous les types d’images.
C’est ce à quoi nous appelons sans cesse.
Cela est d’autant plus
important que la nécessité de médiatisation (ce qui n’est pas vu, n’existe
pas) a dévoyé les méthodes et l’éthique scientifiques. Ne parlons pas
simplement de leur instrumentalisation par l’argent en finançant et en
orientant les recherches, mais aussi grâce à une dérive. Dans le marketing des
news au sein du flux continu, l’oubli est règle et le commentaire
prime sur l’étude. Ainsi, des philosophes, sociologues, psychanalystes autoproclamés font du journalisme avec une
aura scientifique ne reposant sur aucune recherche autre que leur éventuel brio
oral. Mais cela s’est répandu dans toutes les sciences, notamment les sciences
humaines. Désormais, d’obscurs tâcherons souterrains ou des étudiant(e)s
exploité(e)s réalisent de longs travaux que d’autres pillent sans vergogne et
sans citer personne. C’est la piraterie généralisée. Désormais aussi, des
esprits futés construisent hâtivement des thèses à partir d’une conclusion
choisie pour faire des articles à scandale qu’ils appellent des livres.
Les sciences sont donc
fortement touchées par la déqualification. Et pourtant aujourd’hui, face à la
perte des repères et aux vérités auto-proclamées, quel est le seul terrain sur
lequel les humains peuvent échanger comme base de leur vivre en commun, si ce n’est
le terrain scientifique ? Pas le scientisme, la religion de la science,
mais ce grand mouvement évolutionniste qui est celui des recherches critiques et
expérimentales aptes à donner des éléments d’appréciation du monde, de
compréhension et de choix individuels et collectifs.
Voilà pourquoi, de même qu’il
faut urgemment qualifier l’espace médiatique et donner des repères, il est très
urgent de requalifier l’espace scientifique. Cela changera probablement
la visibilité publique et offrira des surprises étonnantes sur les contenus et
les pratiques. A quand un Décoscientex ?
|
15 : 01 : 17 |
HISTOIRE NATIONALE, HISTOIRE GLOBALE, HISTOIRE STRATIFIEE |
Il est toujours très difficile
d’expliquer les basculements. Pourquoi des notions cachées, des pensées
invisibles et méprisées surgissent soudain comme des évidences collectives.
Prenant de l’âge, je devrais avoir du recul sur cela et des réponses
éclairantes, mais non. Il s’agit d’un sujet de recherches bien mystérieux, en
tout cas pour moi. Benjamin Stora, lors d’un entretien dans l’émission
[decryptcult] visible sur ce site, expliquait que l’exposition La France en guerre d’Algérie en 1992 au
Musée d’histoire contemporaine constitua un tournant dans la recherche et la
compréhension des événements. Pourtant, cette exposition et l’important ouvrage
qui l’accompagnait se déroula dans un silence médiatique quasi-total (hormis un
article dans le journal Le Monde qui
expliquait qu’il ne fallait pas faire d’exposition ambitieuse quand on n’avait
pas les mêmes espaces que le Centre Pompidou…). A partir de 2002, tout le monde
cependant courait après le livre et la guerre d’Algérie occupait des médias
étonnés qu’on n’en parlât point suffisamment.
Il en est de même avec ce que j’appellerais
l’histoire élargie. Cela fait des dizaines d’années qu’il y eut des travaux sur
les circulations ou de l’histoire comparatiste. Après plusieurs manifestations comparatistes
dans les années 1990 au Musée d’histoire contemporaine, j’y apportais –parmi d’autres--
ma contribution en créant la revue Comparare
en septembre 2001 avec un comité comprenant Jacques Le Goff, Eric Hobsbawm,
Bronislaw Geremek, Carlo Ginzburg, Rudolf von Thadden. Jacques Le Goff et Eric
Hobsbawn se montrèrent particulièrement actifs. En 2006, ce fut une initiative
d’une toute autre ampleur : le Dictionnaire
mondial des images, croisant les travaux de 475 spécialistes de toute la
planète, qui analysait l’ensemble de la production visuelle humaine.
J’ai longtemps –assez seul, je
dois le dire-- critiqué une « provincialisation » de la science
historique française, la marginalisant, sous l’influence d’un ouvrage collectif
initié par l’éditeur Pierre Nora : Les
Lieux de mémoire. J’y critiquais, non pas l’intérêt ou la qualité de l’entreprise
(et d’ailleurs beaucoup d’ami(e)s y ont participé), mais l’impasse et l’influence
nocive. L’impasse parce qu’on ne peut donner comme piste d’avenir aux jeunes
chercheuses/cheurs cette histoire au second degré sur un roman national bâti au
XIXe siècle. L’influence nocive car l’irruption d’un « tout mémoire »
en France (avec un succès qui a d’ailleurs dépassé Pierre Nora) fut néfaste
pour le développement de la science historique (la mémoire n’a que faire de la
véracité des faits) et permit l’instrumentalisation communautariste de seulement certaines mémoires.
L’Histoire –reconstruction problématique
du passé—rassemble quand les mémoires peuvent faire éclater le vivre-ensemble.
Au slogan ressassé « devoir de mémoire », devrait se substituer « besoin
d’Histoire ». Car aujourd’hui nous nous trouvons avec tous les
inconvénients : l’Histoire sous contrôle par les groupes de pression et l’oubli
total immédiat dans une obsolescence généralisée qui a fini par toucher même le
monde universitaire où le pillage, la non-citation, l’ignorance des références
antérieures sévit : des produits marketing fabriqués pour une société de l’instant
ballotée au gré des secousses médiatiques.
Ce long préambule me permet d’expliquer
combien, par contraste, nous pouvons nous réjouir de l’initiative de Patrick
Boucheron avec son équipe d’une Histoire
mondiale de la France (Seuil). Bien sûr, il y aura des esprits chagrins
pour trouver les articles courts trop sommaires, pour contester les dates
choisies, pour souligner tous les manques. C’est inévitable et facile.
Moi-même, je me suis amusé de la cécité récurrente des historiens quand Asterix
est seulement vu comme un satellite dans l’espace, alors que l’émergence de la
bande dessinée française dans les années 1960 avec Pilote et Hara Kiri,
héritiers de la bande dessinée belge, du New
Yorker et de Mad, avec une
génération exceptionnelle d’auteurs, aurait mérité une entrée. Mais Laurence
Bertrand Dorléac ou Antoine de Baecque apportent par ailleurs des éclairages
très pertinents sur d’autres aspects visuels.
Les contestations peuvent en
effet être sans fin et il serait très facile de détruire l’entreprise pour
mille raisons pertinentes. Elle est néanmoins méritoire, intelligente,
réjouissante et utile. Pourquoi ? Parce qu’elle prend les tenants d’une
histoire chronologique et les nostalgiques d’une histoire-récit au mot. Voilà
des articles, courts, clairs, qui racontent,
avec quelques références à la fin et des renvois à d’autres articles (ce que j’avais
fait dans le Dictionnaire mondial). L’entreprise éveille la curiosité et donne
envie d’aller plus loin. Elle n’établit pas un nouveau dogme, un nouveau roman
national, elle offre des perspectives sur des moments où les événements d’un
territoire résonnent avec l’ailleurs.
Après des années d’une France repliée
sur elle-même, angoissée sur son identité, « moisie », nostalgique de
tout et souvent du médiocre (des variétés ressassées), voyant ses penseurs les
plus gauchistes initialement devenir des défenseurs de l’académie atrabilaires,
ce livre et le bel accueil qu’il reçoit fait sens. Peut-être enfin allons-nous
sortir du repli masochiste et sénile. Il serait temps. Il serait temps d’ouvrir
les portes de la pensée et non seulement de faire de l’histoire globale mais de
reconsidérer l’ensemble de l’histoire longue du territoire à l’aune des
échanges et des conflits.
Chaque individu aujourd’hui a une
identité imbriquée dans laquelle des lieux, des goûts, des histoires familiales
se mélangent. Le besoin de repères n’a jamais été aussi fort. Pour cette
raison, pédagogiquement, il est nécessaire désormais de faire de l’histoire stratifiée, c’est-à-dire de
partir de l’histoire locale –là où on vit—qui est beaucoup trop ignorée, pour l’inscrire
dans une histoire régionale (est-il semblable de se trouver en Bretagne ou au
pays basque ou en Alsace ?), une histoire nationale en fonction du territoire
du moment, une histoire continentale et une histoire de la Terre (car, depuis
les origines, nous avons eu de grandes circulations des humains et des biens et
des évolutions environnementales et économiques et culturelles dépassant toutes
les frontières variables).
Voilà pourquoi la parution de l’Histoire mondiale de la France est un
bon signe, le signe que nous recommençons à penser large, que nous pouvons
sortir de l’instrumentalisation politique ou communautariste, que des perspectives
nouvelles peuvent se mettre en place. Il était temps. Souhaitons que cela ait
des conséquences positives pour la recherche et pour la vulgarisation dans tous
les domaines quand nos télévisions sont focalisées encore de façon stupéfiante sur
le culte des puissants avec une vision régressive d’extrême-droite (que
dirions-nous si une vision marxiste de l’histoire accaparait les écrans ?),
totalement coupée des travaux historiques en cours.
Il est possible donc que ce livre
soit le signe d’un basculement longuement attendu, un basculement qui permette
de réconcilier la science historique avec la société de son temps en donnant
des repères concentriques dont nous avons besoin pédagogiquement et aussi pour
ouvrir les écoutilles des passionné(e)s et des chercheuses/cheurs. On s’apercevra
alors probablement dans la foulée qu’apprendre à voir est aussi important qu’apprendre
à lire et que lorqu’on reçoit toutes les images passées et présentes de façon
indifférenciée sur le même écran, il devient crucial de les situer par des
repères concernant l’histoire planétaire de la production visuelle.
Grand merci donc à Patrick
Boucheron et à son équipe. Work in Progress !
Laurent Gervereau
|
30 : 12 : 16 |
BD : 10e anniversaire d'Artemisia ! |
J'ai accepté de devenir Président d'honneur du prix Artemisia pour son 10e anniversaire. Ce prix récompense des femmes créatrices de bandes dessinées. Le scandale provoqué en 2016 au festival d'Angoulême par la sélection d'aucune femme dans les 30 nominations pour le Grand Prix a justifié pleinement cette initiative. Ma présence et celle d'autres hommes dans le jury montre de plus l'ouverture d'esprit de ce qui doit beaucoup à Chantal Montellier, dont j'apprécie fort l'oeuvre.
Alors, soyez là le jeudi 12 janvier à 18h30 (Musée du Vivant-AgroParisTech, 16 rue Claude Bernard, 75005 Paris). Ce sera gai et passionnant avec la présence de créatrices inventives et talentueuses !
|
11 : 12 : 16 |
Rallumons les Lumières ! |
La violence, l'imbécilité, l'obscurantisme, la veulerie semble dominer les agissements humains sur cette planète. Il est temps donc d'entrer en résistance, de "Rallumer les Lumières !", de célébrer les savoirs, les savoir-faire et la création, qui concernent une exigence précieuse traversant tous les milieux sociaux, du Yao en forêt laotienne à l'apicultrice/teur, au menuisier ou au mathématicien/ne, à l'agronome et au musicien/ne ou à la dessinatrice/teur.
Cette année, Argentat sur Dordogne a pris ce beau thème pour les Rencontres-Promenades (www.histoiresdepassages.com) du 20 au 23 juillet 2017. Il y aura tant d'événements passionnants et même une rue Roland Topor, clin d'oeil à un touche-à-tout profond et réjouissant.
René Pétillon a réalisé le formidable dessin de l'affiche. Mandryka expose le concombre masqué, premier super-héros végétal. Speedy Graphito peint un mur en public et montre des oeuvres originales. On écoute Louis Winsberg en forêt comme Gilles Clément. Bref, des moments d'exception avec vous et grâce à vous.
|
15 : 11 : 16 |
SEUL(E) dans la multitude à l'ère de la confusion |
SEUL(E)
dans la multitude
à l’ère de la confusion
La
grande question contemporaine réside dans le rapport entre l’individu et les
foules. Certes, des conceptions (notamment asiatiques) du monde peuvent nier
cela en pensant que l’individu n’existe qu’en tant que partie prenante d’un
tout, société humaine et environnement. L’individuation peut n’avoir pas de
sens.
Pourtant
l’histoire humaine fut une longue mise en avant d’individus, individus
valorisés pour leur force, leur beauté, leur puissance politique ou religieuse,
leur savoir, leur savoir-faire… Bref, nous n’avons cessé de construire de la
différence individuelle. Aujourd’hui, au XXIe siècle, à l’ère de l’ubiquité
médiatique, la question n’est plus vraiment seulement de savoir si l’individu
émerge et a une latitude de singularisation dans des groupes sociaux larges,
mais comment sa singularisation peut s’exprimer et peser sur le tout.
Bien
sûr, des forces monorétro (pour une seule manière de penser héritée du passé)
se satisfont parfaitement de la dissolution de l’individu dans des masses
manipulées par quelques-uns politiquement, religieusement ou commercialement ou les trois à la
fois. La confusion sert les plus puissants.
Elle
est un formidable broyeur de sens dans tous les domaines. Le fact checking s’avère sans impact face
aux rumeurs et aux communautés virales sur les réseaux sociaux. L’individu
isolé n’a aucune chance de porter à la connaissance publique une idée
originale. Pire, des chercheurs peuvent végéter dans l’invisibilité totale ou
être récupérés et détournés sans être cités. En art, tout est art, donc rien n’est
art. Hier est aussi actuel qu’aujourd’hui et le marché de l’offre devient
exponentiel.
Bref, nous sommes dans la confusion généralisée avec une guerre
mondiale médiatique. Aucune démocratie de l’information n’existe quand
les même choses tournent en boucle parmi les milliards d’émissions sans
aucun média-relai intermédiaire : à réalité stratifiée, nécessité de
stratification médiatique. Alors, personne ne s’y retrouve au sein de
pareille cacophonie, ce qui est dangereux car les individus perdus se
raccrochent à n’importe qui, n’importe quoi.
Il est
probablement temps, pour toutes et tous, de devenir des
spécialistes-généralistes et de s’occuper de l’essentiel. Quels sont les
priorités environnementales collectives ? Comment structurer la planète
autour de nos vies locales-globales par des fonctionnements fédérés où
la dimension nationale n’est plus qu’une des strates ? Comment penser
ses propres actions comme des choix responsables éclairés par
l’éducation à tout âge ?
L’émiettement planétaire dans l’explosion des égoïsmes locaux n’est pas
la solution car les questions qui nous occupent, environnementales,
financières, migratoires, sont collectives. De plus, la diversité des
religions et des conceptions philosophiques peut être préservée grâce à
un vivre-en-commun fondé sur l'approche scientifique et critique, la
seule qui rassemble sans imposer une vision du monde. A l'inverse,
l'uniformisation planétaire dans l'acculturation et la consommation
addictive des mêmes produits et des mêmes images pour des sociétés de la
norme et du contrôle forme une alternative dangereuse (elle est refusée
à juste titre par les peuples, car on ne vit pas et on ne veut pas
vivre dans tel quartier de New York comme à Limoges, en forêt laotienne
ou à Bamako).
Voilà pourquoi il importe de repenser général en
transformant un niveau local rétro-futuro (avec des traditions
défendues et choisies et de l’innovation). Voilà pourquoi il faut songer
au rare, à l’unique, au précieux, à ce qui fait valeur pour soi. Cela
n’est pas mesurable par l’argent. Voilà pourquoi aujourd’hui nous avons
besoin de repères et de quelques idées claires sur l’état de notre
planète et sur les buts collectifs minimaux. Voilà pourquoi il est temps
de revivifier l’action locale, dans les quartiers des villes ou dans
les campagnes, et de peser enfin collectivement sur le devenir terrien
qui nous concerne toutes et tous, en définissant des limites dynamiques
dans tous les domaines. Bâtissons un Pacte planétaire évolutif qui s’impose partout avec une responsabilité collective et la possibilité de sanctions.
Il
est temps, pour permettre de sortir de la confusion, d’avoir des buts communs,
qui seront aussi des garanties de diversités locales fortes. L’un(e) ne peut
apprécier sa singularité dans la multitude qu’en sortant de la confusion. Nous
devons penser nos repères.
|
09 : 11 : 16 |
Rallumons les Lumières ! |
PLUS QUE JAMAIS D'ACTUALITE :
Face au NEW AGE OF DARKNESS...
C'est le thème des Rencontres-Promenades 2017 d'Argentat sur Dordogne (du 20 au 23 juillet) : www.histoiresdepassages.com
René Pétillon en a créé l'image
|
04 : 10 : 16 |
ET LA CULTURE ? |
Lisez cette synthèse pour comprendre l'absence aberrante de la culture dans la campagne électorale française, les questions de définition essentielles pour couvrir le territoire culturel de chacune et chacun au quotidien et les enjeux locaux-globaux, le malaise profond des actrices/teurs du champ culturel et des savoirs (qui ne sont plus des modèles sociaux) et les pistes pour transformer un ministère en déshérence :
Nous sommes partis
dans les soubresauts –seconde par seconde-- des aiguillons tweetés par une
actualité politique où l’obsolescence programmée règne. Immigration, identité,
chômage, les pics d’attention apparaissent au fur et à mesure de formules choc.
Il est cependant un domaine qui indiffère complètement depuis des années :
la culture. Pourquoi ?
La culture a une mauvaise image, la plupart de ses
acteurs sont invisibles
La culture est encore
trop souvent regardée comme un ensemble d’activités élitistes, expositions,
musique dite classique, théâtre… De ce fait, elle subit deux phénomènes très
dangereux : des caricatures hâtives et un ostracisme devenu sens commun.
La définition de
la culture d’abord est impropre. Comme les forêts, la culture évolue dans le
temps et souvent nous y pensons en référence à ce qui pouvait être
« culturel » dans les siècles passés. En se focalisant sur ce mot de
« Culture » avec une majuscule, on l’anoblit certes, mais on la
sépare aussi. Il faudrait donc probablement employer le terme au pluriel pour
montrer la richesse des phénomènes culturels et leur caractère changeant avec
des frontières floues. La culture est consubstantielle de la diversité
culturelle, contenus et vecteurs.
Quand Hergé est
exposé au Grand Palais comme un artiste –ce qui était impensable il y a 20
ans—ou quand la gastronomie est reconnue comme un patrimoine culturel ou quand
les modes de vie japonais passionnent, c’est bien le pluriel des formes
culturelles qui importe désormais. D’ailleurs, la déqualification à l’œuvre sur
les écrans (tout est mélangé au même niveau) a déjà opéré la symbiose dans
l’imaginaire des populations. D’où, en parallèle, la nécessité impérieuse d’une
requalification par l’éducation avec instillation de repères à tout âge. Apprendre à voir est aussi important au XXIe
siècle qu’apprendre à lire, apprendre à identifier ce que l’on voit.
Mais revenons à la
question des cultures. Parler « des cultures » permet en effet d’ouvrir
le spectre d’un patrimoine et de pratiques culturelles larges, mêlant la
création, les savoirs, les savoir-faire. Exemple : nous avons vu la vogue
actuelle de la photographie, qui fut minorée longtemps par rapport à la
peinture, ou le statut du jazz passant d’une curiosité communautaire à un genre
musical planétaire. La redéfinition intégrative de ce que sont les cultures
amplifiera un phénomène en cours et permettra aux populations de se reconnaître
à travers ces pratiques culturelles mélangées.
Cela permettra aussi
peut-être de sortir de ce qui est insupportable : l’ostracisme, la
détestation culturelle et la haine de ses acteurs. Les termes sont trop
forts ? Il n’y a pas de Trump qu’aux Etats-Unis. Non seulement lorsqu’on
parle de culture, beaucoup de « décideurs » prennent désormais un air
ennuyé mais certains n’hésitent pas à asséner avec violence leur inculture
comme une fierté, maniant grossièreté et humiliations. Etre proche du peuple
veut-il dire rejeter savoirs et culture ? Quel mépris pour toutes les
cultures populaires aujourd’hui si diverses, hybrides, multiples de tant de
parcours personnels.
Ce mépris est de
plus à courte vue. Qu’est-ce qui fait le tissu social, si ce n’est un ensemble
de pratiques culturelles traversant les groupes sociaux ? Qu’est-ce qui
« vend » la France à l’étranger si ce n’est le patrimoine et les
modes de vie ? L’American Way of Life est promue par le cinéma des
Etats-Unis depuis la Première Guerre mondiale. Il est réellement temps donc d’arrêter
ce qu’il faut qualifier de cécité stratégique : en interne comme en
externe, dans la réalité du monde aujourd’hui, l’espace culturel au sens large
se révèle fondamental. La guerre mondiale médiatique où le croire devient
prépondérant par rapport au faire (des guerres gagnées sur le terrain sont
perdues sur le front de l’opinion) impose de comprendre ce qui est une vitrine
décisive.
Formés aux
chiffres ou au marketing, nos politiques ne sont pas préparés au monde qui
change. Pour beaucoup, leur incurie culturelle est un handicap. D’autres
érigent désormais l’ignorance et la provocation en méthode de conviction, comme
si gouverner consistait à faire du stand up. On rit en Europe des Américains
qui ne savent pas où est l’Europe mais nos grandes écoles et universités de
prestige préparent-elles à comprendre l’espace iranien ou la Creuse ou les
mangas et la circulation planétaire des images ? Dans la boussole
éducative, il manque un point cardinal.
Pourquoi ce trou
noir ? En grande partie parce que, dans notre univers où ce qui n’est pas
hyper visible n’existe pas, les savant(e)s et les créatrices/teurs ont pour
l’instant totalement perdu la bataille médiatique et politique. Quand on
demande leur avis sur tout à des sportifs ou des actrices/teurs ou des
chanteuses/teurs, ils sont invisibles ou réduits à être des faire-valoir comme
« expert » à la parole découpée sans rien contrôler du contenu. Pire,
un dédain suprême les accompagne : ce sont des fâcheux, des soporifiques
prétentieux. Du coup, non seulement on ne sait pas qui ils sont, mais on ne se
renseigne même pas et on postule leur inintérêt.
Disons-le
fortement : les créatrices/teurs et les savant(e)s sont souvent aujourd’hui
dans une grande misère morale ou un sentiment de révolte. A regarder autour de
soi, celles et ceux qui devraient préparer notre avenir et être portés comme
modèles sociaux sont souvent déprimés et humiliés : pensons à ces créatrices
et créateurs faisant un travail en parallèle pour réaliser leur passion tout en
étant vus comme des parasites ratés, à ces chercheuses/cheurs en sciences
humaines précarisés et partant à l’étranger, ces conservateurs de musées
traités pires que des balayeurs par leurs tutelles ou ces journalistes
spécialisés sous-payés, à la portion de plus en plus congrue et à la liberté
restreinte… Et pourtant, ils offrent de la plus-value
culturelle en travaillant très souvent gratuitement, mais dans un temps où
ce qui n’est pas chiffré est considéré sans valeur (grossière erreur d’ailleurs,
économique, politique et de psychologie sociale).
Bref, cela n’émeut
personne. Du moment que les intermittents du spectacle ne troublent pas les
manifestations où se promènent les ministres, tout va bien. La bureaucratie a
gagné partout. Le mot d’ordre « pas de vagues » triomphe.
L’immobilisme devient synonyme de bonne gestion. Les économies servent de
projet. Des nominations opaques --impensables dans d’autres pays comme
l’Allemagne, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne-- de personnes
interchangeables, pour beaucoup emplois fictifs (car ne faisant rien en
attendant de passer à une autre fonction), récompensent les affidés.
Alors, ce
dépérissement et ce mépris, cet immense malaise, sont-ils le fruit d’une
déliquescence programmée pour se débarrasser d’un ministère de la Culture
réduits aux acquêts en autonomisant des établissements public semi-privatisés
et en basculant le reste vers les collectivités locales ?
Faut-il supprimer le ministère de la Culture et de
la Communication ?
Depuis l’époque de
François Mitterrand, il n’y a plus eu de pensée de la politique culturelle
globale. En France, elle n’a existé de fait que lorsque le chef de l’Etat l’a
soutenue avec un ministre de la Culture compétent et à forte personnalité
sachant s’entourer. Jacques Chirac, avec le Quai Branly ou la Cité de
l’immigration, n’a eu que des intérêts sectoriels sans conviction d’ensemble.
Depuis... La suppression du ministère de la Culture et de la Communication pourrait
donc s’imposer d’elle-même. Gageons que cela ne se fera pas par peur d’un
tollé. Parce qu’il y a le volet Communication aussi. Mais nous restons au
milieu du gué avec des acteurs en plein malaise et un ministère en déshérence,
à l’administration engorgée sans politique claire. C’est tout à fait à l’image
de notre pays constipé, dont tout le monde sent qu’il va devoir sortir des
vieux débats et se projeter dans les temps nouveaux.
Que faire alors si
on ne supprime pas ce ministère ? Il faut résolument penser les choses
dans notre nouveau contexte local-global. Nous nous focalisons en effet sur le
national comme si c’était la panacée, alors que le local et le global sont
devenus fondamentaux. Ainsi, il apparaît d’abord essentiel de redynamiser
toutes les formes de démocratie locale et d’expressions locales. Voilà pourquoi
un ministère rénové de ce type doit intégrer évidemment le tourisme, car le
tourisme est lié directement au patrimoine matériel et immatériel. La culture
fait image, elle « vend » les territoires. Et c’est le moyen
d’élargir la notion de culture aux cultures en faisant un Ministère d’expertise et d’aide en conseils au niveau local pour
favoriser l’aménagement harmonieux des territoires.
En faisant aussi
un ministère passeur, passeur du
local à l’international associant tout le monde. Ces histoires de passages sont
cruciales. Ministère-relai, ministère intégrateur (et lié à l’éducation à tout
âge), il contribue à exporter nos créations, nos savoirs et nos savoir-faire, en
associant les entreprises (pensons à toutes ces PME qui ont une fonction
patrimoniale).
Pour ce qui
concerne la Communication maintenant, aucune vraie réflexion n’est portée sur ce
que le service public doit porter. Un immobilisme délétère a prévalu, qui ne
satisfait personne. Le service public télévisuel est le domaine le plus
caricatural. Arte mis à part, une grande dérive commerciale l’a vidé de son
sens. La publicité, censée être supprimée, y est omniprésente, quand un impôt
inégalitaire appelé « redevance » est payé par peu de personnes pour
voir des choses qui pourraient être vues ailleurs. Les chaînes de France
télévision sont à identité vague, alors que France 3 pourrait devenir un vrai
relai des territoires, un vrai média-relai dont nous avons tant besoin pour
assurer une diversité réelle et changer des quelques « people » en
boucle. Et France 5 ne joue absolument pas son rôle éducatif ni ne permet à des
scientifiques de concevoir des émissions.
D’une manière
générale, l’Etat devrait faire l’inverse de ce que fut l’accord tacite des
années 1960 : ne pas s’occuper de l’information mais s’occuper fortement du
reste pour que les programmes aient du sens. Dans l’émiettement actuel où la
télévision explose, avec multiplicité mais multiplicité des mêmes et du même,
le service public est le moyen de faire autrement avec d’autres en mettant en
valeur les forces vives du pays, en aidant à une vraie diversité, en mettant en
valeur l’innovation tout en défendant des secteurs traditionnels, même sur la
question des médias.
En ce qui concerne
les programmes, prenons un exemple qui tient à cœur aux Françaises et aux
Français : l’Histoire. Imaginerait-on une télévision publique tenue par
une vision marxiste de l’Histoire. Ce serait un tollé. Aujourd’hui, mené par un
journaliste issu de la presse des familles royales, à longueur d’émission sont
mis en avant les puissants et les palais et, quand elle est évoquée, la
Révolution française apparaît comme un temps d’obscurité sanglante de coupeurs
de têtes. Un peu caricatural ? Il est temps que des historiennes et des
historiens qui sont compétents sur leur période, comme l’étaient Georges Duby
ou Marc Ferro, puissent créer des documentaires et des émissions. Et l’Histoire
n’est qu’un exemple, il en est ainsi dans tous les domaines.
D’une manière
générale, la réévaluation des modèles
sociaux dans la visibilité publique est devenue indispensable :
création, savoirs, savoir-faire, associations du lien social et de la
transformation écologique, entreprises innovantes… Il est l’heure pour qu’une société
comme la nôtre, à tous ses niveaux, admire et défende ses expressions
culturelles (« j’aime où je vis »), respecte ses enseignants, ses créatrices/teurs,
ses artisans, ses entreprises traditionnelles et innovantes, ses
chercheuses/cheurs… Faisons une Culture
Pride. Défendons les savoirs.
Alors, nous
n’allons pas passer encore une campagne électorale avec des batailles de
chiffres ou des notions d’exclusion inopérantes et dangereuses, des mensonges
en tout genre, et en confondant de façon insultante peuple et ignorance. Tout
cela n’est pas un détail, c’est un modèle de société à construire. Un modèle
qui soude. Un facteur décisif de vivre-ensemble. Soyons fiers de porter les
créations et les savoirs de nos territoires. A tout âge et partout, admirons
des personnes réellement admirables. Reculturons
nos sociétés.
|
29 : 08 : 16 |
Remettre en marche la pensée de l'Histoire |
J’ai lancé en 2012 à
Hong Kong le mouvement « Résistance des savoirs / Knowledge is
Beautiful », défendant savoirs, savoir-faire et création comme valeurs essentielles
pour nos sociétés. Dans cet esprit, j’ai créé en 2015 les Rencontres-Promenades
« Histoires de Passages… » à Argentat sur Dordogne. Surtout,
régulièrement mes livres ou textes courts invitent à concevoir autrement notre
environnement global en luttant contre la plaie actuelle en France : la
médiocrité. Je diffuse maintenant quelques digests permettant d’aider à changer
de perspectives. Voici donc un petit point sur la science historique.
Il n'est pas anodin car l'Histoire stratifiée et l'Histoire générale du visuel sont 2 enjeux civiques majeurs au temps des identités imbriquées et des radicalisations, avec d'une part un tropisme très dangereux vers le nationalisme d'exclusion ou l'éclatement communautariste, d'autre part la confusion généralisée sur les écrans et le besoin urgent de repères.
Remettre en marche la
pensée
de l’Histoire
La médiocrité politique de notre époque correspond aussi à
une sorte d’épuisement scientifique, de renoncement dans certaines disciplines.
Partout, dans les sciences humaines notamment, la notion de post-modernisme a
été nocive, car elle a correspondu à des perspectives bornées, au sens propre,
quand il ne s’est pas agi de l’idée absurde d’un arrêt de l’Histoire et
maintenant d’un revival nostalgique détestable bercé par la litanie de l’impuissance.
Il est donc temps de remettre en route la conceptualisation
des phénomènes et l’articulation des disciplines. La phase d’uniformisation
économique --avec ses lourdes conséquences environnementale et culturelles-- et
d’explosion des communications a-t-elle eu sa traduction ? Nous végétons en fait avec des outils
inopérants.
Essayons de résumer cela en quelques lignes. La science historique, en France, a été
provincialisée par le développement délétère de la notion de
« mémoire ». Ce ne fut pas le cas dans de nombreux autres pays. Ici,
on a abouti, d’une part à une instrumentalisation de l’Histoire pour des
intérêts communautaristes, d’autre part à une sorte d’Histoire au second degré
accrochée à un phénomène du XIXe siècle : le « roman national ».
Pour sortir de cette impasse, il importe donc désormais de substituer
clairement au slogan « devoir de mémoire » celui de « besoin d’Histoire », car la mémoire
est subjective et risque de diviser, quand l’Histoire rassemble autour d’études
critiques vérifiables permettant les remises en cause.
Et ce n’est pas juste une question de slogan, mais la nécessité
globalement de relancer la machine à penser et à inventer. Pour l’Histoire, nous
avons besoin d’ouvrir de toute urgence les perspectives tant géographiquement
que concernant les objets d’étude. Géographiquement d’abord, partout les
réalités sont locales, régionales, nationales, continentales et terrestres. En conséquence,
il importe de développer de l’Histoire
stratifiée. Voilà l’approche cohérente, pour toutes les périodes. Ce ne peut plus être, ni une seule Histoire nationale, ni même une Histoire globale : nous comprenons que ce cadre géographique imbriqué est le seul adapté. Pour la pédagogie aussi : un enfant a besoin de connaître le passé de là où il habite, de sa région, de son pays, de son continent et de la Terre.
Cela se complète d'avancées thématiques complémentaires, comme la voie considérable ouverte déjà par tant de pionniers qui est celle d’une Histoire des échanges, des circulations, des interactions, des rejets et des oppositions (armées souvent mais pas seulement), des gender studies très développées, des travaux sur des groupes sociaux ou --plus récemment-- l'Histoire longue revue sous le prisme de l'écologie.
A cette ouverture structurelle, s’ajoute une nécessaire ouverture concernant les objets d’étude. L’Histoire est une reconstruction problématique du passé. Elle pense le passé inévitablement en fonction des réalités présentes. Voilà pourquoi il est temps de développer une branche particulière de l’histoire culturelle et de l’histoire globale (en la développant aussi de manière stratifiée) : l’Histoire du visuel.
La production visuelle humaine est considérable. Avant les premières traces écrites, elle est un témoignage essentiel, un « reste » précieux. Elle accompagne plus tard abondamment l’écrit (les pyramides, les monnaies ou la construction iconographique des cathédrales) et, à l’heure des 3 époques des images industrielles à partir du milieu du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui (l’ère du papier, celle de la projection et celle de l’écran), elle a explosé en nombre de façon exponentielle, souvent accompagnée d’ailleurs d’écrits ou de sons.
Comment penser que ces sources ne soient pas objets d’interrogations et de connaissances ? En termes pédagogiques, apprendre à voir est-il moins important qu’apprendre à lire ? En terme de recherche, peut-on s’en tenir disciplinairement à des « histoire de l’art » ou des « histoire des arts » et peut-on séparer cela de la question des médias ?
C’est absurde évidemment. Il est temps de faire sauter les petits pré-carrés ridicules intellectuellement. Non pas en niant l’art ou les arts comme phénomènes, mais en arrêtant d’appliquer ces notions inventées en Europe à des hommes préhistoriques qui n’étaient pas dans cette problématique, ni d’ailleurs les Aborigènes ou nombre des fabricants de cartes postales, par exemple.
Parce que nous sommes dans l’ère du cumul (recevant partout sur le même écran des images fixes ou mobiles correspondant à toutes les époques, tous les supports et toutes les civilisations), il faut scientifiquement traiter l’ensemble de ce qui a été et est produit, de manière à donner des repères dans le temps, dans l’espace et par support, de manière aussi à caractériser ce qui relève de l’esthétisation de l’utile et ce qui relève de l’art, des arts, de manière à comprendre également les vecteurs des images et des images artistiques.
Ainsi --disons-le avec force-- repenser aujourd’hui la science historique nécessite de développer prioritairement à la fois une Histoire stratifiée et une Histoire générale du visuel (avec des ouvertures thématiques). Etre ambitieux, c’est répondre aux réalités planétaires de notre époque et aux attentes pédagogiques considérables partout.
|
22 : 08 : 16 |
LES NATIONS SONT DEPASSEES |
Combien de fois, dans ma vie, je me suis étonné de la médiocrité des débats ambiants... Aujourd'hui, en France, on laisse faire une dérive réactionnaire et on laisse blablater des penseurs obsolètes de la désillusion. Je ne cesse depuis des années de propager des concepts autres, une autre vision du monde. Cela s'imposera, car les vraies fractures apparaîtront et les enjeux essentiels émergeront.
Voici un petit digest récent qui accompagne mes derniers livres (voir gervereau.com) :
LES NATIONS SONT DEPASSEES
Nous vivons une situation vraiment paradoxale. Des Jeux olympiques sont organisés –événement tout à fait international—et les mêmes événements sont regardés de façon strictement nationale pour savoir si tel ou tel athlète rapporte une médaille de plus ou de moins. Notre appartenance commune et nos solidarités planétaires incontournables ne sont-elles pas des causes suffisantes et primordiales ?
Autre exemple, des élections nationales vont avoir lieu en France. De multiples candidats se déclarent mais beaucoup s’inquiètent de la pauvreté de l’offre conceptuelle et de la déconnexion par rapport aux perceptions et attentes de la population. Cette déconnexion se traduit par un fort repli local, des micro-initiatives et une nette majorité de la population hors du vote ou dans une démarche de rejet.
Dernier exemple de ce paradoxe, l’éclatement de « pays » qui semblaient de l’extérieur être des « blocs ». Pensons à la Lybie, à l’Irak, à la Syrie. Mais quid de la Grande-Bretagne, de l’Espagne, de l’Italie ou la Chine avec ses 130 langues parlées ? Nous comprenons que tous les territoires sont des patchworks et des patchworks en plus secoués depuis longtemps par de nombreux mouvements de populations.
La réalité des enjeux est aujourd’hui en effet partout locale-globale. Parce que l’action de proximité est fondamentale concernant notre « directement visible ». Parce que les mouvements financiers comme ceux des produits et matières premières circulent autant que circulent les pollutions de l’eau, de l’air ou de la terre et les incidences du climat.
Alors, peut-on enfin cesser de réfléchir suivant un concept développé au XIXe et au XXe siècles et qui a été à l’origine d’un suicide européen avec la Première Guerre mondiale, de massacres idéologiques avec la Deuxième et de conglomérats post-coloniaux à l’identité incertaine ?
AGIR AU BON NIVEAU : LE LOCAL-GLOBAL
Essayons d’apporter ici quelques éléments sommaires d’un regard autre sur nos réalités présentes. Tout le monde parle de « mondialisation ». Chacune et chacun s’aperçoit que l’attachement à l’endroit où chacun vit est important, ce qui n’empêche nullement les migrations d’ailleurs. Le projet de vie est ainsi d’abord local, que ce soit dans les campagnes et leurs bassins de vie ou les micro-quartiers des villes (qui ne sont pas des « blocs », qui ont des « climats » différents suivant les endroits). J’aime où je vis, voilà le projet essentiel de la refondation locale, le projet rassembleur qui soude des histoires individuelles très diverses et des identités imbriquées (faites de goûts, de croyances, d’histoire familiale et personnelle…).
Tous les experts le notent, au temps du portable et de l’agriculture urbaine, la séparation ville-campagne a vécu. Dans ce contexte, la défense des initiatives locales, les circuits courts sont les aspects les plus évidents. Mais la démocratie directe, la qualité environnementale et l’économie de la gratuité sont essentiels. Il est temps d’arrêter de monétariser les échanges, quand ce qui importe le plus pour beaucoup d’habitantes et d’habitants reste la qualité du vivre ensemble.
Un Yao en forêt laotienne se moque d’être sous le seuil de pauvreté et probablement aussi un Wolof en banlieue de Dakar ou même un chômeur à Limoges. Tout dépend d’autres critères qui échappent souvent aux économistes, ignorants de ce qu’ils ne peuvent quantifier, méprisant la psychologie sociale ou les cultures diverses. La question importante pour nos trois exemples est plutôt de savoir la satisfaction de leurs besoins vitaux bien sûr mais surtout leurs relations avec l’environnement direct.
Dans ce cadre, l’implication de la population dans un tri rétro-futuro se révèle essentielle : choisir les traditions et lieux qu’on veut garder et là où on veut innover. Choisir aussi périodiquement de changer les choix collectifs et individuels. Voilà l’équilibre indispensable partout. Cessons de penser qu’on va tout balayer pour bâtir sur une table rase un monde parfait. Cessons d’imaginer que la perpétuation à l’identique de lieux et de rites --qui ont tous une origine historique, même nos paysages—suffise à former un projet d’avenir fiable et souhaitable.
Ce tri rétro-futuro est conditionné –on le comprend parfaitement—par un travail qui est à la fois horizontal et vertical. Horizontal, car en réseau avec beaucoup d’autres communautés géographiques proches ou lointaines. Vertical dans la mesure où désormais nous vivons une réalité stratifiée, avec le local, le régional, le national, le continental et le terrestre. Et tous ces niveaux importent.
Voilà pourquoi lorsque les Français s’imaginent (de moins en moins) qu’en élisant un roi centralisateur à la Louis XIV, ils vont se souder, peser dans le monde et résoudre leurs problèmes, ils s’abusent et vont inévitablement de déception en déception. Les temps ont considérablement changé. Notre organisation politique doit en tenir compte en étant stratifiée et en répartissant les bons niveaux de décision avec la bonne strate. Cela implique d’ailleurs aussi incidemment qu’au niveau éducatif on nous apprenne l’histoire de façon stratifiée, depuis là où on habite jusqu’au niveau des grands enjeux terrestres.
Il s’agit d’un grand big bang mental qui a évidemment des incidences dans tous les domaines, politiques, économiques, scientifiques, éducatifs… D’autant que ce grand chantier local s’accompagne d’évidence par un autre qui est son pendant : la structuration fédérale d’un gouvernement terrestre à partir d’un Pacte commun minimal. Il n’est plus possible de subir les dérèglements économiques et financiers aux immenses conséquences environnementales, sociales, culturelles.
Nous l’avons vu avec la COP21, les Etats sont dépassés par des puissances économiques et financières qui changent la vie de milliards de personnes sans contrôle, matériellement et culturellement. Des catastrophes physiques adviennent qui se rient des frontières, des génocides culturels également. Les organismes aux pouvoirs restreints et les conférences ne suffisent plus à des enjeux qui se sont accélérés, au risque de raidissements, de guerres, de volontés autarciques, d’une conjugaison d’égoïsmes sur une planète éclatée et disparate. Il est vraiment urgent de structurer le niveau global, loin des intérêts à courte vue. Au temps du désabusement généralisé et souvent intéressé, voilà un projet à porter partout avec le soutien des peuples.
LE VRAI CLIVAGE IDEOLOGIQUE : UNICITE OU DEFENSE DE LA DIVERSITE
Tout cela nous explique combien la dérive nationaliste en cours dans certains pays est une illusion dangereuse. Fermer les frontières ne protège ni du terrorisme, ni de la perte des repères culturels ou de la dépendance économique. De surcroît, ces pensées nostalgiques d’un « hier » paré de toutes les vertus constituent un non-sens historique et un leurre.
Un autre leurre --très peu évoqué celui-là-- est celui du « progrès ». Née en Europe, la notion de progrès a triomphé au XIXe siècle avec l’idéologie industrielle, les théoriciens de l’émancipation sociale, l’expansion coloniale et le scientisme. Au passage, indiquons que le scientisme est pourtant le contraire de la démarche scientifique basée sur l’esprit critique, l’expérimentation, le doute et les remises en question.
De même, l’idéologie du « progrès » est à l’opposé de la volonté du mouvement. Le Progrès, comme le Bonheur, comme les sociétés utopiques parfaites, sont des pensées d’un arrêt de l’Histoire. Au nom du progrès, combien de destructions matérielles et culturelles ont été réalisées ? Au nom des sociétés parfaites, combien de crimes ?
La désillusion d’aujourd’hui et la défaite idéologique des mouvements de transformation sociale viennent de la confusion entre progrès et mouvement. Proclamer que demain sera mieux qu’hier est devenu un mensonge quand le confort matériel ne suffit pas à l’épanouissement personnel, quand la durée de vie allongée n’est pas une assurance de qualité d’existence. Les cartes sont brouillées.
Pour les réactionnaires, au sens propre, pas d’ambiguïté : la vision idéalisée d’hier constitue l’horizon indépassable. Il faut revenir à hier pour être heureux. Pour les défenseurs de la transformation sociale et de la qualité environnementale, la nécessité de l’expérimentation rétro-futuro dans le mouvement doit se substituer à l’idéologie du Progrès au sein d’une sorte de darwinisme philosophique : une évolution perpétuelle, un mouvement où collectivement et individuellement on cherche à peser sur les conditions de vie, un volontarisme pragmatique.
Une telle attitude cesse d’imposer une vision unique du Progrès mais respecte différentes visions du monde sans imposer l’uniformisation comportementale. Le mouvement est une façon de structurer en fonction d’intérêts globaux les conditions de nos différences. C’est une philosophie de la relativité (pas du relativisme). Dans ce cadre, toutes les organisations et courants de pensées qui se veulent émancipateurs doivent alors intégrer plusieurs données : le local-global pour les niveaux d’action, le rétro-futuro pour les choix et la défense de la diversité (diversifiant la diversité) pour les buts.
Cela correspond à là où nous vivons : un univers terrestre unique et fini, relatif, dans lequel il va falloir cesser de penser que la multiplication industrielle des produits et des humains est une chose souhaitable. Des limites dynamiques (pouvant être remises en question) sont en effet nécessaires avec des choix locaux sur une planète unifiée par des intérêts vitaux communs et ouverte sur des différences anciennes ou d’invention récente.
CHANGER NOS CRITERES DE COMPREHENSION DU MONDE
Nous comprenons alors que la vraie frontière idéologique réside désormais, non pas entre les religieux ou non religieux, les nationalistes et les socialistes ou les punks et les militaires, mais entre les tolérants et les intolérants, entre les défenseurs du pluralisme et de la diversité (qui peuvent être nommés MULTI) et celles et ceux qui veulent imposer des comportements uniques (MONO). Cela recoupe d’ailleurs deux autres chantiers séparant les altruistes ouverts sur le futur et les égoïstes à courte vue : celui de la justice entre les individus et celui de l’écologie, c’est-à-dire le souci de l’ensemble de l’environnement terrestre dont les humains sont une partie significative.
Nous nous obnubilons en effet de questions périphériques et peu efficientes. Nous nous excitons sur des débats sans aucun intérêt. Il serait temps de repenser les choses en fonction des réalités de ce que nous nommons le XXIe siècle. Entrons enfin dans la vraie dimension des enjeux actuels où les nations ne sont qu’un des éléments de notre monde local-global et la défense de la diversité le vrai fossé idéologique planétaire.
|
04 : 08 : 16 |
Le Progrès est une erreur |
Ceci est mon dernier livre, au sens d'ultime. J'ai construit une oeuvre littéraire avec L'Homme planétaire. J'ai construit une oeuvre philosophique et politique, depuis Pour une philosophie de la relativité. Elle s'est développée comme une arborescence à partir d'une base solide, d'un tronc de pensée.
"Le progrès est une erreur" reprend beaucoup de mes concepts (le
local-global, l'histoire stratifiée, le tri rétrofuturo...). Il innove
en faisant comprendre la notion de "limites dynamiques". C'est peut-être
en fin de vie que l'on saisit plus facilement cette aberration
dangereuse du "toujours plus", assortie de la notion que tout ce qui est
nouveau est un progrès.
J'ai eu beaucoup de mal à écrire ce livre un peu foutraque. On
pourrait penser qu'il est jeté et ludique. Il fut repris et repris et
repris. Pénible à composer : je savais trop ce que je voulais dire.
Il n'empêche qu'il clôt un ensemble de réflexions semées tout au
long de mon existence avec un résumé : les 16 engagements des
Multiterriennes et Multiterriens. Il fait ainsi face au terme de ma vie,
de la vie. Comme Gilgamesh refusant de mourir pour devenir un dieu
éternel, mais qui finit par se faire voler la plante d'éternité (par un
serpent) et comprend alors la nécessité de la fin. Elle assurera
d'ailleurs la pérennité de sa trace.
On se plaint souvent des difficultés que l'on a eues à vouloir
innover. D'aucuns ont dû lutter contre la répression, la torture ou la
mort. Personnellement, ce fut plus doux et insidieux : j'ai eu maille à
partir avec la médiocrité, une médiocrité insondable de petits
esprits technocratiques à courte vue se foutant complètement de
l'intérêt collectif et chassant en bande. Mais, à regarder hier, ce
n'est probablement pas original, quand Denis Diderot écrivait : "L'homme
précoce vit, boit, mange avec les stupides qui l'environnent, mais
converse avec l'avenir." Les femmes précoces aussi.
Plus ludiquement, je me tournerai vers webtv (multiterratv), musik botanik ou expressions courtes.
Vous aurez encore de quoi découvrir... Du moins, peut-on l'espérer, pour quelque temps.
|
|