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06 : 06 : 08 |
Sur papier ou sur le Net, faire des livres durables |
Image : mon collier de la forêt sur almanach du crime.
Alors, ce n’est pas parce que cela s’envoie, cela s’électrise, cela s’écrase sur écran, qu’il faut concevoir le Net comme un dico automatisé ou une poubelle à pets éphémères. Il devient un lieu de résistance et de création pour d’autres horizons, d’autres façons de faire. Voilà donc un nouveau livre en ligne Vers une écologie culturelle. Ecrit depuis des mois, il est réclamé alors que je prépare la télévision en ligne ecolibtv et que la Fondation Chirac, par exemple, entame une action de défense des langues autochtones. Ma perspective d'"écologie culturelle" est plus large, car je considère qu'il faut diversifier la diversité, c'est-à-dire à la fois préserver mais aussi évoluer, inventer, faire vivre. Ou quand les Wayanas envahissent le numérique.
Nous sommes tous des peuples autochtones. J'en profite pour faire un petit coucou à mon amie Barbara Glowczewski, si active, courageuse et passionnée. Sans tomber dans le mythe du bon sauvage et de la dernière tribu isolée (voir photos récentes en Amazonie) le "droit à l'isolement" constitue probablement le pendant d'une coordination globale. N'uniformisons pas la planète. N'imposons pas des règles et des médecines qui ont montré leur relativité. Ne soyons pas des néo-colonialistes en blouses blanches. Tolérons aussi des formes de retraits dans nos propres sociétés.
Alors, un nouveau livre, dense et à plusieurs voix sur le Net ? Par là, je ne deviens pas pour autant un absolutiste de la toile et crois à la nécessité du papier, pour les médias intermédiaires de contenu et les livres durables. Il faut en effet désormais défendre cette notion de "livres durables", contre l'obsolescence du n'importe quoi. J'aime le papier et commence d'ailleurs une bande dessinée. Mais bousculons la pensée marketée et les bouquins kleenex.
Tiens, un "vrai" livre. Ami de Michel Lebrun au temps de la littérature policière encore ghettoïsée (années 1970), j’ai « raté » Jean-Patrick Manchette, bien qu’appréciant ses polars. Je me trompais sur son succès en apparence facile. Je le découvre vraiment aujourd’hui en lisant le début de son journal, un traité de vie. Une exigence pour tous. A rebours, quand je me promène sur les écrans télévisés, je songe à cette nouvelle égalité par le bas. Nous sommes noyés dans le rien. Il faut restituer la haine. Manchette dis des conneries (à mon avis), traitant Sunset Boulevard de « soufflé », mais il cherche le rare, l’intense, se met en jeu. Katerine parodie notre robotisation pendant ce temps, acide. Nous allons visiter Carmontelle, l’illusion XVIIIe siècle. Tirons la chasse pour y voir plus clair.
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29 : 05 : 08 |
Orlan, tout à l'heure |
J'ai marché pour revoir Orlan. Jadis déjà, j'allais lui parler à l'école des Beaux-Arts (en 1995 au moment du colloque Où va l'histoire de l'art contemporain ?), alors qu'elle était délaissée dans un coin comme un phénomène bizarre. Je ne suis pourtant pas un fanatique de l'automutilation, ni de la transformation chirurgicale (trop douloureusement subie jadis). Mais je ne me suis déplacé que pour elle, alors que tout le Saint-Germain bruissait de gros replets aveugles et de jeunes greluches plus hautes que hautes. Son travail sur l'hybridation m'intéresse profondément. Je la vois comme un personnage de "transplanet". J'aimerais la faire figurer dans le film Regarder ailleurs. Nous ne nous sommes rien dit. J'irai la visiter.
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29 : 05 : 08 |
Pas lu, pas vu |
Vous le lisez ici et nulle part ailleurs :
Les choses se sont totalement inversées. Autrefois, vous écriviez pendant des années, pas à pas, développant éventuellement votre vision du monde et puis, souvent après votre mort, certaines ou certains tentaient éventuellement de mettre cette écriture en correspondance avec des éléments biographiques. De nos jours, la « bio » devient l’objet même du livre. Chacun découvre ses plaies ou statue sur les « media-people », énervés cathodiques qui pissent sur les tables et hurlent comme des chiens à la radio.
Aujourd’hui, des personnes connues pour des raisons diverses font des bouquins-alibis (souvent écrits par d’autres) ou des personnes inconnues sont vendues à cause d’un épisode biographique particulier. Freaks. La campagne marketing est organisée autour d’une « révélation ». Chaque livre devient un dossier de presse, un slogan pour bandeau. Une phrase fait article, un article fait ouvrage, un ouvrage fait œuvre.
La jactance codée militante nous gonflait dans les seventies marxisantes ; aujourd’hui, le degré zéro de l’intime nous afflige et pourrait nous plonger vers Kierkegaard, comme une bouffée d’air frais. Un zeste de dignité. Une haine ancrée du médiocre.
Le savoir devient en effet signe d’ennui, quand la crétinerie notoire amuse et rassure. La démocratisation n’est pas à l’œuvre --qui serait une possibilité générale de connaissance--, mais s’opère un décrochage intéressé dans la bêtise et la médiocrité. Elles rassurent tout le monde en confortant la consommation passive. Alors, l’interview perpétuelle multiplie les livres café du commerce, les confessions de fin de repas, la reality-loghorrée. Le rien de l’intime réduit à son paquet de poils remplace le quotidien universel.
Parallèlement, la vague sociologisante commente le commentaire avec nos psys. Elle érige l’air du temps en phénomène, ramasse quelques poncifs et les mêle avec les épices du paradoxal pour un brouet philosophique du ras du bitume. Le titre et la couverture résument tout. Les auteurs se font les perroquets d’eux-mêmes, répétant leur accroche clipée. Pensée gimmick, réflexion-riff. Oubliée dès le lendemain.
Chacun peut désormais parler partout. Les vidéos vont envahir le Net. Les blogs se déversent par millions. Il importe alors de défendre l’acte d’écriture, la confection du livre (sur papier ou en ligne) comme un rendez-vous grave qui engage, entre ratés et fulgurances. Baudelaire écrivait : « Le Sage ne rit qu’en tremblant ». Ne soyons pas sages, mais écrivons avec crainte. Et ne prenons plus les torchons pour des serviettes, car il n’y aura plus que des torchons.
Au bouquin cale-buffet, au codex pour 10 jours, songeons à ce qui nous bouleverse, nous apprend, demeure et parle au futur. Pas pour une perfection qui n’est nullement notre objet, mais pour continuer à tisser ce lien qui nous unit à quelques-uns de nos aînés et parlera peut-être à certains de nos enfants.
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21 : 05 : 08 |
Diversifier la diversité |
Hong Kong. Jadis (en 1999), je m'élevais dans un rapport écrit contre l'"exception culturelle" (vision frileuse, protectrice) pour promouvoir la notion de "diversité culturelle". Aujourd'hui, où cette notion s'est banalisée, méfions-nous. Certes l'écologie culturelle incite à préserver des populations aux modes de pensée différents et à ne pas tout abraser avec les modes de vie globalisés dans la bonne conscience droit-de-l'hommiste. Mais il ne faut pas tomber dans des conservatoires figés concurrents, nouveaux cadenas pour les consciences. Affirmons donc la liberté de choix individuelle et d'évolution. Diversifier la diversité consiste à éviter de fabriquer des ghettos, hormis certaines zones de territoires où des populations (en Asie, en Amazonie, en Europe ?) souhaitent éviter les relations avec le reste du monde. Le droit à la diversité a en effet probablement son équilibre dans un droit à l'isolement (comme pour les communautés monastiques). Voilà une philosophie de la relativité en action.
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07 : 05 : 08 |
Ligne Alexandrie |
Portrait d'une ligne élaboré dans le grand salon du consulat de France à Alexandrie, face à la baie, par le dessinateur franco-égyptien Bahgory, tard, autour des alcools, et à mon insu. Dans ce site Internet où l'autocomplaisance règne, cette trombine charpentée ne détonne pas. Pourtant, au-delà de la gentillesse malicieuse du créateur, se découvrir en état de décomposition, paysage ravagé, à l'oeil, non pas malin, mais abruti sous la boursouflure, remet à sa place. Voilà soi en végétalisation, de l'égo-bio, vert déchet. Bref, en voie recyclable.
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04 : 05 : 08 |
Les jolies couleurs des collabos |
En contemplant à Vienne l'incomparable collection d'armures de la Hofburg, je songe aux multiples niveaux de regards dans une exposition. Peu après, à Paris, je suis sidéré à rebours par la légèreté initiale dans la présentation des vues de Zucca (travaillant sous l'occupation en France pour le magazine allemand Signal). J'aurais aimé défendre la liberté de tout montrer (ce que je pense nécessaire), le refus des visions trop directives pour laisser le spectateur juger par lui-même, la liberté esthétique... Mais là, j'accepte finalement d'intervenir (à la radio, sur France Inter) et sanctionne comme les autres : trop c'est trop et il faut vraiment décoder ce joli Paris insouciant. Tous les photographes ne furent pas Zucca, n'en déplaisent aux héritiers. Heureusement.
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04 : 05 : 08 |
Hitler a tué les Führer |
Tout se brouille. S'asseoir sur le Néant et apercevoir un obélisque à Martinvaast dans le Cotentin. Je lis Peillet par Gayot, le seul livre intéressant en ce moment. La décoction, le paysage modifie la perception. Pour Peillet (ou Drieu la Rochelle ou Malraux), il existe une vraie crise d'Idéal, dernier jours ou premiers jours. Sa quête signifie son absurdité : Dieu est mort, et le sacré nous hante. Hitler a tué tous les Führer. Il nous reste la pantomime. Le Vide succède à tant de Pleins. Et nous devons néanmoins reprendre la route. Avec des éclaireurs. Pas des maîtres à penser. Des cactus. Sans Foi. Mais avec des repères.
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15 : 04 : 08 |
Egypte, klaxons, tombes |
Ce pays possède de beaux esprits. Des femmes brillantes parlent à l'université ou fouillent, jaugent les médias et les réserves du Musée du Caire. J'ai marché, rencontré, pénétré une tombe de Sakarah avec Athor majestueuse protégeant un ambassadeur de Pharaon, erré dans les studios Masr avec une directrice passionnée, entre stucs et numérique, vu la baie bleue d'Alexandrie à faire oublier les déchets. Le savoir est là, encore respecté, l'énergie aussi. Il faut aider à l'excellence ce palmier d'eau sur désert, pour que la fertilité triomphe.
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29 : 03 : 08 |
Ici et partout |
La zapping devient permanent. J'ai raté une rencontre jeudi avec Patti Smith pour rejoindre Kenneth White à Trebeurden, avec un soleil d'eau. Tout avance. Mais il faut aussi recevoir des claques comme à 18 ans par des personnes certes sans importance mais qui importent encore pour bloquer le quotidien. Personne ne peut imaginer ce poids du vide. Désespoir et révolte. Qui n'avance pas recule. J'avance encore, balaie le panurgisme à travers des petites tempêtes matinales. Qui comprend ? Il faut se blinder contre la bêtise de beaucoup, la non-lucidité, les tartes épanouies. Il faut payer d'être non markété, atypique, pas formaté, difficile à saisir. Et refuser de péter en public ou d'apitoyer. Rien. De la dignité. Je ne changerai rien. La résistance. Guérilla de la marge, du regard de travers, du monstre. Je filme alors les écarts de pensée. A moins de 40 ans, on se fout de 68 et on entre naturellement dans ces bas-côtés variés, ces tapas recherchés.
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16 : 03 : 08 |
codex ou cale-buffet |
Tout se mêle en moi. Je reviens d'un reportage vidéo à Gaillac. L'exposition fine et pointue est conçue à partir d'un livre du Marquis de Camarasa La Brouette (développant ses "causeries brouettiques" en 1925). Voilà de l'écologie culturelle, de la défense de la diversité. Ce sont ces "fous" littéraires et artistiques (disons-le, je dirige par ailleurs le comité scientifique de l'Institut sur ces personnages) qui me réconcilient avec le livre.
En tout cas pas le Salon du livre, vômissoire de vieux ringards et de jeunes écervelées qui pondent du papier en liasse. Il faut, au détour d'un stand, le canonique et délicieux Egyptien Albert Cossery, seul d'ailleurs comme je vis jadis le pauvre Pierre Desproges au Grand Palais, pour gommer en partie les queues des Nicoletta et des Pancol markettées. Ou le coin manga, assez sympathique avec des passionnés dédicaçant à l'encre de Chine, bras tatoués.
Comment cette parodie culturelle continue-t-elle ? Le déversement de l'égo à la petite semaine noie les 10% de travaux ambitieux, présentés soit par de petits éditeurs qui ferment, soit par de grands éditeurs dont cela devient le luxe. Quel devenir ? Cale-pied de buffet. Point de postérité. Voilà ce que nous deviendrons tous. Les grands discours --réactionnaires au sens propre, nostalgie d'un temps perdu-- sur la sacralité du livre sont balayés dans les faits. Le système se suicide lui-même par multiplication irraisonnée, qui, en plus, n'a même pas le mérite de permettre à des oeuvres ardues d'exister. Le n'importe quoi de la banalité de base balaie une édition française nulle à l'exportation. Le constat devient aigre.
Ne la sauvons surtout pas. Il faudra renaître du marasme.
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