Voilà un livre qui pourrait être maudit et que je protège et chérit.
En effet, mes proches le détestent, attristés devant ce qu'ils ressentent comme un dernier râle ou une justification qui n'a pas lieu d'être. Les autres s'en foutent ou le trouvent digne d'un personnage-baudruche infatué. Bref, il n'y en a pas beaucoup pour le défendre.
Si : moi, donc. Je crois que chacune ou chacun a besoin, à certaines étapes de vie, de tirer des bilans. Ce livre est une façon pour moi d'agir face à des événements sur lesquels je ne peux rien. Donc, ce livre, contrairement à celles et ceux qui y voient la longue plainte morbide d'un créateur, respire la volonté de faire, l'espoir de celui qui est heureux de ce qu'il a réalisé, qui pense ne pas avoir à en rougir et peut ainsi regarder avec une certaine confiance les choses à venir comme du "bonus". D'ailleurs le "pays de nulle part" est l'étymologie de l'utopie, mais j'aime les utopies réalisées, concrètes, et m'ennuie avec les utopies-songes, qui tourneraient vite au cauchemar ou à la calembredaine irréalisable.
Pas de masochisme donc, pas de flagellation, pas de déprime. Un essai de lucidité et l'affirmation d'une pensée qui se développe, se continue, s'épanouit au-delà de tous les obstacles et d'un certain déni public (on est immanquablement banalisé par celles et ceux qui vous connaissent, sous-évalué ou évalué pour d'autres choses, et inexistant ou adulé par celles et ceux qui sont à distance : jamais un rapport sain et clair). Il est toujours difficile de résister aux clairons de l'époque et tenir sa route en tâchant de garder lucidité et audace, malgré le silence ou la sale tendance à rabaisser ceux qui pourraient vous faire de l'ombre, attitude typique des coteries parisianistes très provinciales désormais au temps des échanges planétaires. Et il n'y a ainsi aucun respect à avoir pour des politiques, des hauts fonctionnaires parasites ou des journalistes qui ne vous respectent pas, qui ne cherchent même pas à savoir qui vous êtes.
Infatuation ? Allons-y dans le plaidoyer pro domo : mes intuitions ayant été fortement corroborées par les événements, je crois que je suis moins infatué que tous ces guignols des plateaux télé passant leur temps à se tromper, à proférer du vide de café du commerce en éructant des colères feintes, à mentir ou à récupérer les idées des autres sans vergogne, dans la célébration perpétuelle de leur misère intellectuelle. Des boites de sardines sans sardine : tout dans le marketing.
Oui, ce livre est personnel. Oui, c'est une forme de testament provisoire. Oui, j'y mets à nu mon parcours et mes idées sans jamais d'anecdotes croustillantes sur ma vie intime --c'est-à-dire la matière même de la quasi totalité déprimante de ce qu'il y a à lire aujourd'hui (le récit personnel et ses banalités de base : le degré zéro de la pensée). Oui, je suis heureux de l'avoir écrit et qu'il soit publié. Oui, je prend date.
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